Invité surprise de la compétition officielle, l’ukrainien Sergei Loznitsa signe son premier long-métrage de fiction après s’être taillé depuis quelques années une solide réputation de documentariste. Mon Bonheur renvoie moins au documentaire qu’à un style typique des cinématographies d’Europe de l’est, avec une mise en scène lourde et rigoureuse - mais ample - et un rythme étiré en longueur. Le film est long (2h07) mais sa durée est justifiée. On devine la volonté du cinéaste d’imprimer sur la pellicule sa photographie d’une Ukraine contemporaine toute bosselée, engagée dans une routine de corruption et de violence.
Loznitsa s’attarde beaucoup sur les visages des personnages, jusqu’à faire penser l’espace d’un instant à Bela Tarr, l’éminent cinéaste hongrois si prompt à interroger sans en avoir vraiment l’air la place de l’homme, sa condition sociale et morale, dans son pays. La démarche de Loznitsa est différente, moins spectaculaire d’un point de vue esthétique, bien que formellement le film est quand même ambitieux et fascinant (avec une photo signée Oleg Mutu, chef op’ de Cristian Mungiu sur 4 mois, 3 semaines et 2 jours, Palme d’Or 2007) , et avec une dimension philosophique moindre. Loznitsa emprunte des chemins détournés, quitte à perdre parfois le fil d’une narration que l’on considère à priori comme basique.
Le cinéaste déroule en fait une histoire très décousue, avec des personnages qui apparaissent et disparaissent sans que l’on établisse une véritable logique. Tous croisent le chemin de Georgy, un jeune chauffeur routier à la vie simple et recroquevillée mais dont le regard un peu naïf s’accommode du notre. On découvre un peu perplexe, avec lui, une société chaotique et dangereuse, jusque dans ses campagnes loin de la ville. Le désordre du film parait en fait très maîtrisé et aboutit à un constat sombre et désespéré, évidemment à l’inverse du cynique titre. La seule allusion au bonheur dans le film est liée à l’image de doigts dans le cul, comme si les Ukrainiens, dès lors qu’ils agissent et se débattent, étaient condamnés à leur autodestruction. Ce n’est pas tout à fait le propos du métrage, mais il en découle cet sorte de constat d’échec.
Benoît Thevenin