Avec Black Swan, Darren Aronofsky frappe une nouvelle fois très fort. On comprend du même coup d’autant plus mal qu’on lui ait préféré, entre autre, le film de Sofia Coppola pour le palmarès de la dernière Mostra de Venise…
Somewhere n’est pas un mauvais film. On l’a même défendu ici ; mais quand on place le travail de Sofia Coppola à côté de celui de Darren Aronofsky, il y a comme un gouffre manifeste et à tous points de vues. Les deux jeunes cinéastes américains appartiennent à la même génération, ont démarré leur carrière respective au même moment ou presque et frappé fort immédiatement (Virgin Suicides en 99 pour l’une, Pi en 1998 pou l’autre). Le parallèle s’arrête presque là. Car si les deux ont chacun reçus le Lion d’Or à Venise pour leur 4e long-métrage – et l’un comme l’autre pour leur film le plus minimaliste jusqu’alors – force est de constater que l’on a d’un côté une Sofia Coppola qui se renouvelle peu et de l’autre un réalisateur qui se met en danger constamment et, s’il explore film après film les mêmes thématiques, parvient à changer souvent de registre .
Darren Aronofsky est le cinéaste de la distorsion, qu’elle soit visuelle ou sonore, physique ou mentale. Il y a tout ça de contenu dans Black Swan. Le film est a priori perçu comme une variation du Lac des cygnes de Tchaïkovski. Aronofsky met en parallèle son récit avec celui du ballet et conte la transformation de son héroïne.
Cette transformation n’opère que dans le cadre d’un schéma typique de tous les films de Aronofsky, exception faite de The Fountain qui est un cas à part, quoique. Les personnages de Aronofsky sont tous poursuivis par une obsession qui va les conduire directement à la folie autodestructrice. Max Cohen (Pi) est obsédé par le décodage de la Bourse, Sara et Harry Goldfarp (Requiem for a dream) sombrent eux aussi dans la paranoïa via les drogues qu’ils consomment dans la poursuite de leurs rêves ; The Fountain est le récit d’un amour obsessionnel. Quant à Randy dans The Wrestler, il est une victime expiatoire puis récidiviste de son obsession pour son sport. Chacun de ces personnages est finalement sanctionné lourdement. Tous sont gagnés par une forme de folie mégalomaniaque qui se transforme en paranoïa et conduit directement à leur sacrifice. Ce schéma fluctue évidemment d’un film à l’autre mais il y a là les ingrédients récurrents de la structure typique du cinéma de Darren Aronofsky.
Tout cela est contenu dans Black Swan. Pour Nina (Natalie Portman), sa quête est celle de la perfection dans son art, le ballet. Elle commence à ne plus être tout à fait jeune et entrevoit la possibilité de son échec lorsqu’elle croit que le rôle principal d’une nouvelle mise en scène du Lac des cygnes par Thomas Leroy (Vincent Cassel) lui échappe. Nina lie, involontairement semble-t-il, son destin à celui de son personnage dans le ballet. La nature réservée de Nina est un frein pour elle comme le lui annonce d’emblée Thomas. Elle est parfaite, par sa fragilité et sa beauté, pour incarner le cygne blanc. Pour obtenir le rôle, elle devra alors opérer une transformation, comme dans le ballet lui-même, qui fera d’elle le cygne noir que Thomas veut offrir au public.
Pour arriver à ses fins, Nina n’a a priori qu’une alternative : le travail acharné. Elle passe en effet par là, quitte à martyriser son corps (comme Randy dans The Wrestler) : elle se tord la cheville, son stress l’amène à se gratter frénétiquement, et jusqu’au sang, son omoplate droite, etc. Plus elle avancera vers l’accomplissement de sa mutation, plus son corps va subir des blessures. Son corps se distord et en même temps son mental.
Comme la plupart des autres personnages de Darren Aronosfky, Nina sombre dans la folie. Black Swan commence par une séquence fantasmée, le rêve de Nina en cygne blanc. Ce rêve poursuivi jusqu’à l’obsession la plus littérale l’amène à la remise en cause de tous ses repères, y compris sexuel, et à la naissance d’un double maléfique qu’elle va nourrir. Black Swan devient alors un conte noir, le récit d’une descente aux Enfers paranoïaque et cauchemardesque. Darren Aronofsky tord ainsi progressivement la réalité de son héroïne. Quand les repères de celle-ci sautent, quand les doubles se confondent, ce sont ceux des spectateurs qui volent en même temps car tout est perçu du point de vue de Nina. Sa plongée aux pays des cauchemars est donc la nôtre.
Darren Aronofsky livre en effet, comme à son habitude, un film à la hauteur de ses personnages. A l’exception de The Fountain, sa mise en scène épouse le point de vue de ses anti-héros. La réalisation est entièrement subjective.
Darren Aronofsky opte pour une forme naturaliste, une caméra qui accompagne les personnages dans un environnement simple où la lumière semble naturelle. La réalisation rappelle celle minimaliste – qui évoquait le style des frère Dardenne – de The Wrestler mais s’en démarque finalement. Ici, la caméra portée s’oublie instantanément. Le cadre est maitrisé, l’image bouge peu ; ce qui fait la différence, c’est le montage qui induit ruptures et même fractures. C’est par le montage que Darren Aronofsky distord sa mise en scène, casse peu à peu la fluidité de l’ensemble.
La bande-son est conçue de la même façon. La musique douce et limpide de Tchaïkovski se heurte aux variations sonores crées par Clint Mansell, celui-là même qui a signé les bandes-originales de tous les films d’Aronofsky. L’univers visuel et sonore du film est ainsi malmené de façon progressive, notre perception sensorielle évolue et nous conduit à une crispation, un sentiment d’épouvante qui est celui que Nina traverse en même temps qu’elle change et sombre.
De film en film, le parcours de cinéaste de Darren Aronofsky gagne chaque fois en cohérence. Black Swan représente une forme d’accomplissement, une oeuvre aux multiples facettes qui enrichit la lecture de tout son travail jusqu’alors. Le film est brillant d’un bout à l’autre, fascinant et terrifiant et Darren Aronofsky offre sur un plateau à Natalie Portman ce qui sera sans doute pour longtemps son plus grand rôle.
L’actrice incarne idéalement la fragilité de son personnage, à tel point que l’on se retrouve, comme Thomas dans le film, à douter de sa possible révolte ; et pourtant oui, subtilement, son jeu se transforme, gagne en intensité et en puissance physique. Par toutes les souffrances que son personnage impose à son corps, Black Swan devient un film viscéral et cette perception-la passe par l’incarnation de l’actrice qui se consacre corps et âme à son rôle. Le reste du casting est idéal aussi.
Vincent Cassel, dans le rôle de Thomas, est celui qui bouscule tous les équilibres apparents. Son éloquence induit un cynisme et une ironie qui aèrent le film de sa lourdeur dans laquelle il s’installe (enfermement physique et mental dans l’appartement de Nina et de sa mère castratrice, dans la salle de répétition). Le cynisme de Thomas augmente même le caractère cauchemardesque et malsain du film dans son ensemble.
Quant à Mila Kunis, elle incarne un double parfait pour le personnage de Nina, c’est-à-dire sauvage, spontané, sexuel. Par leurs différences radicales de tempérament, leur personnage rentre en confrontation jusqu’à ce que le duel qu’elles se livrent se confonde en un dédoublement chez Nina. Lilly est simplement le modèle de cygne noir vers lequel Nina tend, ce qui ne va pas aller sans confusion.
Le conte noir de Darren Aronofsky a quelque chose d’absolu qui fait que l’on ne sort pas totalement indemne de l’expérience de Black Swan. C’est un film impressionnant et vertigineux qui hante le spectateur au-delà de sa seule projection.
Benoît Thevenin
Black Swan – Note pour ce film :
Sortie française le 9 février 2011
J’ai relativement aimé Black Swan, en dépit et sans doute à cause de son manichéisme. J’ai trouvé le scenario est peu trop convenu et le thème, classique en littérature depuis le nez de Gogol comme au cinéma, du double y est traité de manière un peu lourde. Cependant la description du tragique de la condition des danseurs dont l’art s’épanouie dans l’éphémère et l’instantanéité du geste et dont la carrière courte est une course vers la perfection, y est magnifiée. Je pense que c’est l’essentiel. Cependant, il ne parvient pas à détrôner Requiem for a dream. Aronofsky ne peut certes pas baser tout ses films sur des romans de hubert selby junior.
Lui de duo d’idées
http://duodidees.wordpress.com/
Je suis absolument d’accord avec tout ce que tu écris là, mais je ne partage pas ton enthousiasme. J’aime vraiment beaucoup le film mais je trouve qu’il plie un peu sous une tonne de référence ecrasantes. La Mouche de Cronenberg, Opera d’Argento, Show Girls de Verhoeven ou Carrie/Sisters de De Palma… et du coup, même si je suis sorti ravi et très emballé de la projection et que tout ce que tu dis est vrai… Cela n’est pour moi qu’un excellent thriller, parfaitement mis en scène et surtout incroyablement interprété par Kunis, Portman & Hershey… Mais pas le chef d’œuvre que tout le monde acclame en ce moment… en tous cas c’est mon humble avis et mon petit bémol 😉
Une vraie claque… Darren Aronosky est définitivement un très grand. Pas du tout d’accord avec Foxart… Aujourd’hui quasi tous les cinéastes sont sous influences, logique puisque tout à déjà été fait avant (en général). Comparer à d’autres Aronofsky s’approprie son oeuvre avec la plus belle des façons. 4/4
Magnifique critique et superbe découverte que ce blog où l’analyse est pertinente et profonde, une vraie traversée. Merci
BLACK SWAN
« Le film est a priori perçu comme une variation du Lac des Cygnes de Tchaïkosky. » En tant que tel il n’atteint pas la version la plus médiocre de ce ballet – une création parfaite dans le domaine du ballet classique, insurpassable. Mais ce n’est pas le cas, la création d’une nouvelle version du Lac des Cygnes est une base de support pour une méditation sur toute autre chose, « une forme de folie mégalomaniaque qui se transforme en paranoïa et conduit [les personnages] directement à leurs sacrifices ». ( » Les personnages de Aronofsky sont tous poursuivit par une obsession qui va les conduire directement à la folie autodestructrice. ») Parfaitement. Aranofsky aime (et sait) réveiller les démons. Ce sont ses ténèbres. C’est la meilleure partie du film. La partie qu’il maîtrise.
L’ennui commence lorsqu’il met le pied dans le Lac des Cygnes. Un « réalisateur se met en danger » forcement lorsque il construit son œuvre sur un terrain inconnu, et Aranofsky s’en sort mal. Comment suivre l’évolution d’une création dont le sens échappe à son créateur ? Aranofsky, a-t-il compris lui-même, la nature de black swan pour parler de la perfection de son incarnation ? On a l’impression qu’il n’y connait strictement rien. Et cela discrédite tout son travail, ses personnages, ses acteurs. Quiconque familier avec ce chef-d’œuvre qui est le Lac des Cygnes se sent mal à l’aise. Toutes les scènes de la danse sont ridicules. Et ce ridicule contamine tout le film. Incrédibilité s’installe. On ne peut plus rien prendre au sérieux.
La première séquence du film (qui coïncide avec la première séquence du ballet, fatale, magique, où la princesse Odette est transformée en cygne), le rêve de Nina, est pour moi une des plus fortes du film. Aranofsky déchaîne ses monstres l’espace d’un instant – un aperçu de délire à venir. C’est saisissant. Mais tout de suite tout ralentit à l’infini. Les rares scènes qui saisissent à nouveau l’attention au cours de ce qui suit, sont les scènes de folie, de dédoublement, d’horreur, bien faites, assez clichetiques, mais convaincantes.
Peut-être l’erreur fatal de ce film était de confier toute la chorégraphie (exécrable) à un certain Millepied (qui n’est même pas crédité, et pour cause!). La scène d’apothéose – la danse finale de black swan est une épouvante qui aura contribué à l’atmosphère glauque du film si elle n’était pas aussi… étonnante de marasme.
toutes ces critiques de films si élaborée pour une horreur ca me dépasse.
Ma conjointe qui a tout vu, était après coup étonné par les bonnes critiques qu’elle a lu de ce film. On parle du même film ?
Si vous aimez les claques et les coup de poing je veux vous en donner gratuitement sans payer pour une place de cinema, lol