Simon Werner a disparu… de Fabrice Gobert (2010)


Dès Cannes ou il a été présenté cette année dans la section Un Certain regard, le premier long-métrage de Fabrice Gobert ne pouvait attirer l’attention que par le fait quand même pas ordinaire que la bande-originale est signée par Sonic Youth, soit un des groupes les plus passionnant des trente dernières années. Le groupe de Kim Gordon avait certes déjà signé la B.O d’un film français, et pas des moindres (Demonlover d’Olivier Assayas, 2000), mais n’est pas coutumier du genre. Qu’ils accordent à Fabrice Gobert le privilège de poser leur musique sur ses images et une preuve de confiance en son travail qui est pour le moins éloquente.

Le choix de Sonic Youth est en plus parfaitement cohérent avec l’univers du film. On comprend que la démarche du cinéaste ait pu intéresser le groupe car elle n’est motivée que par la conception globale que Gobert avait de son film.


Le cadre du récit se déroule dans et autour d’un lycée d’une petite ville de la région parisienne dans les années 90. D’emblée on est plongé dans une ambiance rock, qui n’est pas la musique de Sonic Youth, l’ouverture se faisant avec Love like blood de Killing Joke, groupe mésestimé des 90’s s’il en est. Là déjà, la musique est en cohérence avec l’univers du film même si on ne le sait pas encore. On plane quand même déjà, car Simon Werner, s’il n’est pas que ça, est aussi un film presque sensoriel, ou qui en tout cas provoque ou inspire quelques sensations.

Le film est construit en trois parties distinctes, avec à chaque fois un regard différent sur la même intrigue, un nouvel éclairage, une nouvelle orientation et surtout, une nouvelle perception. La première partie voit Simon Werner disparaitre, puis un second élève et une troisième… Fabrice Gobert importe les codes du slasher, impose une certaine paranoïa dans l’esprit de ses personnages. On est dans un premier temps dans un registre plus proche de Scream ou ses avatars que de quoi que ce soit d’autres. Puis le film d’évoluer.


Fabrice Gobert élabore une intrigue simple qu’il ménage avec beaucoup de talent. Peu à peu le film s’apparente à une chronique adolescente relativement banale. La tension ne disparait pas complètement mais l’ambiance n’est plus la même, plus mélancolique, avec des images qui pour le coup se marient impeccablement avec la musique originale de Sonic Youth.

Kim Gordon, la chanteuse du groupe, jouait un petit rôle dans Last Days de Gus Van Sant. La filiation on ne peut plus évidente entre Simon Werner et Elephant du même Gus Van Sant parait alors d’autant plus fondée et aller de soi. Il y a comme une logique imparable qui se dégage. Par ses choix, de décor et de mise en scène, Fabrice Gobert lorgne incontestablement sur la Palme d’Or 2003, sans verser non plus dans la pâle copie ou le plagiat (au contraire de l’affreux 2h37 de de Murali K. Thalluri par exemple). Le campus du lycée choisit par Fabrice Gobert, ouvert à un espace relativement large, évoque de suite le campus scolaire dans Elephant. La façon de filmer régulièrement les personnages de dos, une certaine fluidité dans le style, la multiplication des points de vues et la façon qu’on les personnages de se croiser, tout cela rappelle à l’évidence le film de Gus Van Sant.


Mais encore une fois, Fabrice Gobert arrive à faire en sorte que son film se démarque de tout modèle. On pense peut-être à d’autres films en regardant Simon Werner, mais le long-métrage de Fabrice Gobert a sa singularité, se distingue par un étrange balancement entre perversité et innocence toute adolescente. Rien n’est figé dans Simon Werner à disparu, la progression est constante, la perception toujours mouvante.

Le film est d’autant plus appréciable qu’il est brillamment mis en scène, porté par des jeunes acteurs tous formidables dont l’attachante (et belle), Ana Girardot, fille d’Hyppolite pour l’anecdote, mais qui irradie littéralement l’écran. Ce n’est pas rien que de le dire tant justement la lumière, par Agnès Godard, est importante pour le film, à la fois douce et mystérieuse. L’affiche du film donne en ce sens une bonne idée du cachet esthétique du film : les couleurs de l’automne, une lumière qui brille dans les cheveux blonds de l’héroïne. On est là, d’une certaine manière, pas si loin de Virgin Suicides ou All the boys loves Mandy Lane. La lumière permet en tout cas de distiller un même trouble, de l’ordre d’un certain spleen adolescent, d’un certain mal être.

Fabrice Gobert s’est entouré des meilleurs collaborateurs pour un film à la fois simple et qui ne manque absolument pas d’ambition… ni de maîtrise. C’est là une sacré réussite, d’autant plus notable qu’il s’agit d’un premier long-métrage. On sera très curieux de la suite que Fabrice Gobert donnera à son travail.

Benoît Thevenin


Simon Werner a disparu… – Note pour ce film :

Sortie française le 22 septembre 2010


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