[Vertiges] Entretien avec l’actrice Linh-Dan Pham

Passion, jalousie et trahison se mélangent dans Vertiges, un film délicat et sensible, sensuel et évocateur, qui est le second long-métrage de Bùi Thac Chuyên. Le film est porté par la plus française des actrices vietnamienne, la très belle Linh-Dan Pham qui joue là pour la première fois dans une production de son pays natal. La comédienne nous parle de son désir de jouer au Viêt Nam, de son expérience, et du cinéma vietnamien…

Laterna Magica : Etait-ce  important pour vous de tourner votre premier film dans votre pays natal ?

Linh-Dan Pham : Depuis que je suis revenu au cinéma avec De battre mon coeur s’est arrêté de Jacques Audiard, j’ai toujours eu un oeil sur le cinéma vietnamien. Je me disais que se serait bien de revenir là bas avec un beau projet. J’ai reçu plusieurs fois des propositions mais rien ne me plaisait. Je voulais vraiment revenir avec quelque chose qui me tenait à coeur. Je suis tombée sur ce scénario de Vertiges et j’ai adoré. Je n’avais jamais lu un scénario comme ça venant du Vietnam, moderne, qui parle de choses universelles. J’avais aussi vu Vivre dans la peur, le premier film du réalisateur Bùi Thac Chuyên, et je l’avais trouvé très intéressant, tant dans le traitement de l’histoire dans un contexte d’après guerre, que dans sa manière de filmer les scènes d’amour.

Comment s’est passé votre rencontre avec Bùi Thac Chuyên ? Est-il venu vous chercher ou est-ce vous qui avez demandé de travailler avec lui ?

Il m’a fait parvenir le scénario et donc j’ai eu un coup de coeur énorme pour ce scénario. On a organisé une rencontre et on s’est retrouvé à Paris. C’est quelqu’un qui ne parle pas beaucoup, donc ça a été assez étrange comme rencontre. Et surtout, il ne pensait pas que je pouvais faire le rôle de Cam. Il pensait que je n’avais pas assez de maturité. Je me suis battu pour essayer de le convaincre et quand finalement il m’a donné une réponse positive, j’étais très contente.

En France, on connait surtout le cinéma vietnamien avec Tran Anh Hung. On ne voit jamais de films comme celui-ci, réalisé par un jeune cinéaste vietnamien qui vit au Vietnam. En quoi Bùi Thac Chuyên symbolise t’il un renouveau du cinéma vietnamien ?

Au Vietnam, on a eu la guerre pendant de nombreuses années. Il y a eu beaucoup de pauvreté aussi et le cinéma était alors la dernière chose dans laquelle on pensait investir. Je suis revenue au Vietnam il y a 3 ans avec Unifrance qui organisait pour la première fois le festival du film français au Vietnam et j’ai été très surprise de trouver des Multiplexes énormes à Hanoï ou Saigon. C’est là que j’ai réalisé que ça y est, le cinéma renaissait au Vietnam. Les gens prennent le temps d’aller au cinéma et de payer leur place plutôt que regarder des vidéos piratées. Il y a des producteurs privés, l’Etat aussi, qui commencent à investir plus dans des productions, dans des films de qualité. Avant les talents étaient là, mais ils ne pouvaient pas s’exprimer. C’est pourquoi aujourd’hui je crois qu’il y a une nouvelle vague dans le cinéma vietnamien, dont fait partie Bùi Thac Chuyên.

Votre personnage est une femme lesbienne, mais dans le film son amour pour Duyen n’est jamais révélé et seulement suggéré. De façon générale, le film est très pudique par rapports aux thèmes qu’il aborde : l’éveil sexuel, l’infidélité etc. Faut-il y voir une réserve vis-à-vis d’un public vietnamien qui ne serait pas forcément prêt à se confronter à ses thématiques ?

Ce qui est étrange c’est que dans les non-dits et les silences, l’émotion est décuplée. C’est vrai que ayant une sensibilité européenne – car je suis française – comme vous le dite, tout est suggéré, il n’y a rien de choquant… Or j’ai reçu des lettres de fans qui avaient vu le film et là bas au Vietnam, beaucoup de jeunes gens ont ressenti le film de manière très forte. C’est un film qui a beaucoup marqué les gens. C’est quelque chose qui me touche beaucoup. Je suis très contente de ça.

Y’a t’il des films vietnamiens que vous aimez particulièrement et que vous conseilleriez de voir  pour découvrir le pays et son cinéma ?

Il y a le dernier film de Dang Nhat Minh, qui s’appelle Ne le brûle pas. C’est un peu le Anne Frank vietnamien, même si ce n’est pas vraiment ça. En tout cas c’est une histoire vraie, qui se base sur les carnets retrouvés d’une infirmière pendant la guerre de colonie. Le film a reçu l’équivalent du César du meilleur film au Vietnam l’année dernière.
Et puis je recommande aussi très fort  le premier film de Bùi Thac Chuyên, Vivre dans la peur. Ca se passe après la guerre du Vietnam et c’est un film qui montre comment on gère l’après-guerre.

Justement est-ce que le thème de la guerre du Vietnam reste fort ?

Il l’était mais je crois que de plus en plus il y a des films comme Vertiges, tournés vers l’individu, vers la société. Les jeunes réalisateurs comme Bùi Thac Chuyên n’ont pas connu la guerre et parlent plus de la société vietnamienne aujourd’hui. Et puis on voyage ! On se retrouve à Hanoï, en pleine période des moussons. On sent la sueur, on sent l’humidité et en même temps les thèmes sont universels. Les non-dits, aimer quelqu’un qui n’est pas forcément la bonne personne pour vous etc. Ca parle à tout le monde !

Propos recueillis à Paris par Benoît Thevenin, le 28 janvier 2011

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