[La Trahison] Rencontre avec le réalisateur Philippe Faucon

Le film a été tourné en Algérie. Cela à t’il posé des problèmes ?

Il n’y a eu aucun problème avec les autorités algériennes. On a choisi de tourner là-bas et nous n’avons pas trichés. On a décidé de communiqué le scénario tel qu’il a été écrit. Il n’y a pas eu e retour nous disant « Non ce n’est pas possible de tourner ce film ici ».

Au contraire, on a été très bien accueillis. On nous a mis à disposition des moyens de protection mais ça n’a pas été nécessaire.

La seule chose qui nous a été demandé c’est de choisir un autre titre que « La Trahison ». Ils pensaient que c’est un terme peut-être un peu fort qui peut heurter ou être mal compris. Ainsi, pendant le temps de tournage en Algérie le film s’est appelé « Le Choix ».

Ce titre, évoque t’il la trahison de la France par rapports à ces soldats appelés, ces harkis, ou bien est-ce l’attitude de ces soldats par rapport à la France ?

Le livre de Claude Sales s’appelait déjà La Trahison. Quand je l’ai lu, pour moi, ce titre n’évoquait pas seulement le complot en préparation par les quatre appelés. On a beaucoup réfléchit à un titre car justement on s’est demandé s’il ne serait pas mal interprété. On en à choisit plusieurs, été satisfait par aucun. On a donc gardé le titre original qui pour moi est un titre qui porte des guillemets même si elles ne sont pas présentes sur l’affiche. Il s’agit plutôt d’évoquer la situation de ces soldats qui, dès le début de la guerre, les place en porte-à-faux vis-à-vis des civils contre lesquels ils sont utilisés pour des opérations de contrôles, des traductions etc. Une situation qui se retourne contre eux ensuite en piège.

Il y a cette idée que la France à du mal à parler de ces guerres coloniales…

J’ai participé à une émission de télévision avec Benjamin Stora (NDLR : historien français auteur de nombreux ouvrages sur la Guerre d’Algérie) qui a participé à l’écriture d’un livre sur le cinéma et les guerres coloniales (1). C’est effectivement un vrai sujet d’étude. Il m’avait dit à ce moment là que contrairement a une idée répandue, et que j’avais moi-même, il n’est pas vrai que le cinéma français a été silencieux sur la Guerre d’Algérie. Lui a recensé une cinquantaine de films qui évoquent cette guerre de manière plus ou moins détournée (2). Il n’y a pas d’autre exemple de pays qui, au moment des décolonisations, ont produits des films exactement contemporains à ces évènements. En France, « Le Petit Soldat » de Jean-Luc Godard brave la censure, c’est vrai. La censure était importante à l’époque. Le film de Godard à été tourné pendant la Guerre d’Algérie mais est sortit plus tard du faut de cette censure.

Il y a d’autres films mais on a l’impression d’un manque car ce sont des films peu connus, qui n’ont pas eu beaucoup de succès et qui ont été oubliés.

On a ainsi l’impression d’un grand écart avec le cinéma américain. Mais la force d’Hollywood c’est de pouvoir réaliser des films comme « Apocalypse Now » avec beaucoup d’argents, des stars. Ces films sont ensuite diffusés dans le monde entier et cela marque plus le public.

En France, personne n’osait vraiment investir dans ce genre de film, à cause de la censure. On risquait alors une interdiction, un défaussement des distributeurs etc. Les films qui ont été produits pendant cette période sont donc plus modeste, tournés dans une quasi clandestinité et ont, pour toutes ces raisons, du mal a atteindre le public.

Il y a aussi eu une période où se faisait peut-être sentir le besoin d’oublier, de passer à autre chose mais, aujourd’hui, on assiste à un retour du refoulé ?

Il y a quelques années, des cinéastes comme Louis Malle ou André Téchiné n’ont pas réussi à monter leurs projets. Moi-même j’ai eu beaucoup de mal à monter ce film. On me répondait sans cesse que ça n’intéresserait personne.

Aujourd’hui je sais que plusieurs films sont en préparation et cette fois avec des moyens de production plus conforme à la production française.

Il y a quelque chose de très nouveau aujourd’hui. La télévision aborde à travers ses fictions des sujets très sensibles, très politiques comme le S.A.C, la gestapo etc. On constate aujourd’hui qu’il y a un intérêt du public pour ces sujets là. Ces films ont fait de l’audience et les producteurs ont maintenant moins de réticences. Pendant un temps était verrouillé l’idée qu’il ne fallait pas aborder ces sujets. Eux pensaient que le public ne s’y intéressait pas ce qui n’était peut-être pas le cas.

Vous avez tourné ce film dans un contexte où le cinéma algérien est très sinistré.

Là-bas, le cinéma, pendant 10-15 ans, était sinistré. Plus aucun film n’était produit à cause de la Guerre, des violences etc. Même la télévision ne tournait plus car c’était devenu très dangereux. Il y a donc eu un trou noir. Au niveau des techniciens, le renouvellement ne s’est pas fait comme il s’est fait dans des pays comme la Tunisie ou le Maroc par exemple. Ainsi, lorsqu’on est arrivé, on a rencontré d’abord des gens assez âgés. Ils avaient connus une époque assez importante du cinéma algérien mais qui remontait à presque 20 ans. A contrario, on a rencontré des gens très jeunes, peu expérimentés mais qui avait une énorme avidité de se former. Ils se sont énormément impliqués dans le travail de ce film.

Comment le film a été accueillit en Algérie ?

Nous avons montré « La Trahison » le week-end dernier à Alger. La projection a eu lieu devant 600 personnes. C’était un moment très fort. Il n’y a pas eu de discussion après le film mais, avec Claude Sale (le co-scénariste et auteur du livre), on a été très sollicités. Certain tenaient à dire que l’Algérie était capable de voir un film comme celui-ci et qui n’est pas forcément le reflet de la mémoire algérienne, que malgré ça il pouvait y avoir une compréhension, un intérêt pour ce point de vue qui vient de l’autre côté.

Il n’y a jamais eu d’austérité, d’agressivité de la part des gens. On a évoqué cette guerre avec des personnes assez jeunes pour qui c’était très important. Il s’agit de l’histoire de leurs parents.

La problématique du film est malheureusement toujours d’actualité. Ces quatre jeunes appelés français, d’origine algérienne, on du mal à se sentir français.

Oui tout a fait. J’ai fait un film qui s’appelle « Samia », l’histoire d’une jeune fille de 15-16 ans, d’origine algérienne. On a fait un casting pour ce rôle et on a vu un certain nombre de jeunes filles. On a été très étonnés d’entendre ces jeunes filles dire, lorsqu’elles parlaient de leurs copines, « les françaises ». On leur demandait « Comment ça ‘les françaises’ ? Vous aussi êtes françaises ». En fait elles avaient simplement l’impression de ne pas être considérée, justement, comme française et l’avait intégré malgré elle à travers des regards, des attitudes à leurs égards, ce genre e choses… Elles avaient l’impression de ne pas avoir les mêmes droits que les autres : accès au travail, au logement etc. Tout ça faisait qu’elles avaient admis cette idée qu’elles n’étaient pas françaises alors même qu’elles étaient nées en Frances, leurs parents aussi… J’ai tourné ce film en 1999 mais c’est vrais qu’aujourd’hui on en est toujours un peu au même points, ce qu’on démontré les émeutes dans les banlieues…

Les Harkis éprouvent encore plus cette difficulté. Ils ne semblent acceptés ni par les français, ni par les algériens…

La question des Harkis reste très douloureuse et très sensibles des deux côtés. Pour le film, on a eu beaucoup de mal à trouver des personnes pour jouer ces rôles de Harkis. On nous répondait des choses du genre « Non je ne peux pas, je suis fils de martyr » etc. Finalement ce sont des personnes qui avaient un certain recul sur cette question, qui arrivaient à faire la part des choses et comprenaient qu’il ne s’agissait que d’incarner un personnage de fiction qui ont acceptés ces rôles.

Il y a des cicatrices tenaces mais cela évolue. Par exemple, ma mère a été stupéfaite de voir à la télévision des milliers d’algériens agiter des petits drapeaux français lors de la visite de Jacques Chirac à Alger. Pour elle c’était inconcevable. Mais 40 ans après, les choses se sont apaisées même si je ressens une vraie difficulté à aborder la question des harkis, en France comme en Algérie.

propos receuillis à Nancy le 13 janvier 2006 et mis en forme par Benoît Thevenin


(1) Guy Hennebelle, Mouny Berrah, Benjamin Stora, La Guerre d’Algérie à l’écran, Cinemaction, 1997

(2) On peut citer : « Le Petit soldat » de Jean-Luc Godard (1960) ; « Le Combat dans l’île » (1961) et « L’Insoumis » (1964) d’Alain Cavalier ; « Les Oliviers de la justice » de James Blue (1962) ; « Muriel » d’Alain Resnais (1963) ; « Adieu Philippine » de Jacques Rozier (1963) ; « La Bataille d’Alger » de Gillo Pontecorvo (1966) ; « Avoir 20 ans dans les Aurès » de René Vautier (1972) ; « RAS » de Yves Boisset (1973) ; « Cher frangin » de Gérard Mordillat (1988) ; « La Guerre sans nom » de Bertrand Tavernier (1992) etc.

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