Dans son film Megatron, lauréat de la Palme d’Or du court-métrage à Cannes en 2008, Marian Crisan racontait l’histoire d’une mère et son fils faisant le voyage vers le McDonald le plus proche, à plusieurs dizaines de kilomètres de là ou ils vivent, pour fêter l’anniversaire de l’enfant. Dans Morgen, le premier long-métrage du cinéaste, on retrouve cette attirance naïve pour l’autre monde, celui des pays occidentaux prospères.
Morgen signifie « Demain » en allemand. L’Allemagne est la destination qu’un clandestin turc souhaite rejoindre pour retrouver sa famille. Le personnage n’apparaît pas immédiatement dans l’intrigue. L’histoire est plutôt celle de Nelu, un vigile de surpermarché dans une petite ville roumaine près de la frontière avec la Hongrie qui va nouer une amitié improbable avec ce clandestin.
Tout le film tourne autour de cet enjeux de la frontière, ni plus ni moins celle séparant l’Union Européenne dont la Hongrie fait partie, de la Roumanie qui elle ne l’était encore pas au 1er janvier 2007. A priori, sauf erreur de compréhension de notre part, l’action du film se déroule donc avant cette date.
En dehors de son travail, Nelu aime aller pêcher. Il traverse régulièrement la frontière pour prendre quelques poissons. Dans la première scène, nous le découvrons en train de se heurter au zèle d’un des deux douaniers en poste à la frontière. Nelu subit sans broncher la décision qu’on lui impose d’abandonner son poisson à cette frontière. On lui retire le droit d’importer en Roumanie le maigre résultat – un seul poisson – de sa pêche en Hongrie. Il y a déjà là quelque chose de tragi-comique, d’absurde, en train de se jouer.
Au cours d’une de ses partie de pêche, Nelu tombe sur ce clandestin turc avec qui il ne partage rien, avec qui il ne peut communiquer, mais avec qui il se lie quand même d’une amitié quelque peu cocasse. Nelu héberge le clandestin, le protège, et va tenter de l’aider à passer la frontière.
Les deux forment un duo improbable qui en font des espèces de Laurel et Hardy, couple pareillement dépareillé. Morgen n’est pas un film-gag, mais les situations absurdes se multiplient, à chaque fois sans avertissement préalable, et nourrissent l’impression d’ensemble de tragi-comédie amorcée en ouverture. Nelu joue une sorte de jeu de chat et de la souris avec les douaniers. D’un côté, eux ne sont dupes de rien et laissent faire parce que ça les arrange, de l’autre Nelu organise la fuite de son invité… qui plusieurs fois, par peur ou parce qu’il n’a pas le choix, va revenir vers la ferme isolée de Nelu. C’est là d’une certaine manière le principe du film, un va-et vient récurrent, par lequel se dessinent territoire, la question de la migration et attirance timide vers un ailleurs lointain et fantasmagorique. Morgen partage ainsi quelques idées avec California Dreamin’ (2006), un des fleurons du cinéma roumain actuel.
Morgen n’a cependant pas une portée aussi large que le film de Cristian Nemescu, ou d’autres des nombreux films roumains qui nous sont parvenus ces dernières années, mais il n’en demeure pas moins attachant et plutôt drôle. Cet humour grinçant ne prévient pas, mais c’est aussi la qualité du film : il sait surprendre.
En revanche, ce qu’il partage avec beaucoup de ces films roumains des années 2000, c’est ce sens d’un cinéma contemplatif, rigoureux et précis, avec un sens du timing juste. Morgen est incontestablement oeuvre de cinéaste, et même oeuvre de très bon cinéaste. Le film est ainsi une excellente découverte et une bonne nouvelle pour le cinéma roumain qui décidément possède bel bien plusieurs flèches à son arc.
Benoît Thevenin
Morgen – Note pour ce film :
Sortie française le 2 février 2011