En 1989, un jeune acteur coréen fait ses débuts au cinéma dans L’Arirang de Kuro, premier long-métrage de Park Chong-won, d’après un roman de Lee Mun-yol. Il s’agit de Choi Min-sik, devenu depuis lors une star à faveur de ses rôles dans Old Boy (Park Chan-wook, 2002) ou encore, dans un registre opposé, Failan (Song Hae-seong, 2001). L’Arirang de Kuro est lui un film social et même politiquement très engagé. Choi Min-sik n’y tient qu’un rôle très secondaire, mais sa présence dans le film, avec un visage si jeune qui plus est, attise un peu de curiosité.
Kuro est une cité industrielle dans la banlieue de Séoul. Le film prend pour cadre une usine textile et la vie des salariées (quasi exclusivement des femmes y travaillent) est entièrement consacrée à cette usine. La vie s’organise strictement à l’intérieur de l’enceinte du complexe industriel, entre travail et dortoir. Les cadences sont infernales, les salaire misérables, et la contestation réprimée. Quand le rythme de production est revu à hausse, les salariées se retrouvent étouffées et la colère va soudain exploser.
Quand le film est réalisé en 1989, la Corée du sud se remet doucement de près de vingt ans de dictature. La transition démocratique opère, avec notamment, on le sait, l’organisation à Séoul des Jeux Olympiques d’été en 1988. Voilà pour le contexte social de l’époque.
Les syndicats, au moins au sein de l’entreprise dans le film, sont interdits et les salariés n’ont alors aucun droit de se plaindre. Quand une étudiante distribue des tracts en catimini, elle est vite renvoyée par la direction. Les conditions d’existence, et pas seulement de travail, sont épouvantables. Pour tenir le rythme imposé, les travailleuses se dopent. La pression psychologique imposée par les contremaîtres est intense, les accidents de travail se multiplient, et celles qui n’en peuvent plus se suicide.
Le film va être le récit d’une révolte historique et impressionnante. Le mouvement social est de grande ampleur, et par la même spectaculaire. Des personnages seront sacrifiés dans la lutte et deviendront les héros martyrs, les symboles de la cause de toutes les salariées. Le mécanisme de la contestation est exactement le même que celui que l’on découvre encore aujourd’hui, à une échelle plus grande, dans les révoltes des peuples arabes…
Heureusement, les conditions sociales en Corée du sud ont changé depuis 1989, notamment au prix de ces luttes. L’Arirang de Kuro, véritable trac politique et filmique, a un côté désuet. La mise en valeur des valeurs de solidarité qui s’expriment à la fin, ont une valeur très particulière, à la fois solennel et fervente, qui semble dâter. C’est évidemment faux car les luttes énoncées dans le film, finalement, renvoient toujours à d’autres combats de salariés, même dans la France du XXIè siècle, ou tout autre pays industrialisé. Autant L’Arirang de Kuro a valeur de témoignage, autant le film est désespérant pour ça. L’exploitation des forces de travail est un mal universellement répandu dont l’humanité ne se guérit pas vraiment, même si les conditions de travail ont pu s’arranger quelque peu avec le temps.
Benoît Thevenin
L’Arirang de Kuro – Note pour ce film :