Avec Spike Jonze, David Fincher et Michel Gondry, Mark Romanek faisait partie des réalisateurs de clips les plus admirés et sollicités dans les années 90. Il a notamment travaillé avec Michael Jackson, Lenny Kravitz, Mick Jagger, Beck ou encore Sonic Youth et les Red Hot Chili Peppers. Après un premier long-métrage en 1985 (Static), il réalise son second, Photo Obsession, seulement dix sept ans plus tard (2002). Avec ce denier film, il dirige Robin Williams à contre-emploi, lui offrant à jouer un personnage sombre et inquiétant. Photo Obsession avait été une fantastique surprise, un film resté méconnu mais qui mérite d’être redécouvert.
Il a fallu attendre encore presque dix ans pour recevoir de nouveau des nouvelles de Mark Romanek. Le cinéaste américain réalise avec Never let me go une adaptation du roman éponyme de l’écrivain anglais d’origine nippone Kazuo Ishiguro (et publié en France en 2006 par les éditions des Deux Terres sous le titre Auprès de moi toujours). L’auteur est également connu pour Les Vestiges du jour, que James Ivory adapta au cinéma en 1993.
Never let me go est probablement un film dont il ne vaut mieux ne rien savoir avant de le voir. La surprise – ou l’effarement plutôt – qu’il suscite n’en est alors que plus radical et cinglant.
Cette histoire audacieuse, qui semble se dérouler dans les années 1960 en Grande-Bretagne, évoque des sujets et des problématiques qui relève encore aujourd’hui de la Science-fiction, encore que, plus tout-à-fait.
Sans révéler l’intrigue, il est quand même question de clonage et d’enfants-médicaments.
Quelques semaines avant la sortie du film sur les écrans français, le 2 mars 2011, les professeurs René Frydman et Arnold Munnich annoncèrent la naissance du premier « bébé médicament » français, relançant par là même un débat bioéthique très sensible dont il n’est pas question qu’on en résume les tenants ici.
Dans Never let me go, la question est déjà tranchée par la société. Le film se présente comme une dystopie, c’est à dire qu’il nous offre à comprendre un monde fantasmé et contre-utopique.
Le contexte est celui de l’Angleterre des années 60, et la rigueur établie au sein du pensionnat de Heilsham fait penser un peu au couvent de The Magdalene Sisters. La cruauté en vigueur n’est pas la même, mais il y a quelque chose dans l’ambiance, dans le fait que les enfants sont reclus dans ses murs, embrigadés et soumis à des règles strictes, qui est tout à fait malsain et effrayant.
L’histoire révèle peu à peu une histoire d’amour contrariée, qui noue de façon perverse les relations entre les trois personnages principaux.
Nous apprenons rapidement, dans le premier tiers du récit, quel sera leur destin. Il est horrible mais ce qui frappe c’est le degré de renoncement qui les atteint. Le poids de la fatalité est immense, la révolte comme impossible. L’amour est le seul remède à la déshumanisation dont ils sont affectés, comme une maladie transmise via les valeurs instruites au pensionnat. Ils n’ont pas à proprement parler de schéma de pensée alternatif pour s’ériger contre ce qui leur est imposé.
L’amour pur, de même que l’amour hypocrite mais l’amour quand même, devient l’unique rempart contre leur avilissement. Cette vision là n’est pas naïve, au contraire, le récit est surprenant de part sa profondeur et les questionnements qu’il suscite. La métaphore politique est relativement simple à décoder. Peut-être faut-il s’interroger à propos de la propre passivité des peuples du XXIe siècle ?
Cette interrogation était sans doute légitime au moment de la sortie du livre de Ishiguro. Heureusement, le contexte des révolutions arabes depuis le début de l’année 2011 dément quelque peu l’hypothèse. Mais ce que Never let me go raconte cependant, ce n’est finalement rien d’autre que la révolte qui gronde dès lors que le seuil de ce qu’il n’est plus possible d’accepter d’ignominie causée par le système est atteint.
Never let me go est un film qui nous fascine alors à plus d’un titre, pour les questions qu’il pose, pour l’audace du récit dystopique mais aussi pour sa sensibilité et l’émotion terrible qu’il déploie. Mark Romanek réussit un film extrêmement délicat à tout point de vue et qui arrive à nous terrasser, à nous laisser sans voix.
Et puis aussi, le film révèle un peu plus le talent immense de jeunes acteurs anglais dont on a sans doute pas fini d’entendre parler. Kieira Knighley, on la connait depuis un moment déjà, mais c’est surtout à Carey Mulligan (Une Education) et Andrew Garfield (Boy A, L’Imaginarium du docteur Parnassus, The Social Network etc.) que l’on pense surtout.
Benoît Thevenin
Sortie française le 2 mars 2011