We need to talk about kevin de Lynne Ramsay (2011)

Le titre fait référence à quelque chose qui ne se déroulera jamais dans le film. Jamais les parents n’engageront une réelle discussion à propos de leur enfant Kevin. Et c’est peut-être le problème.
Les premières images nous plongent au coeur de la Tomatina de Buñol, une fête dans cette ville d’Espagne ou le principe est une bataille géante de tomates que les participants s’envoient à la figure. Il y a comme une impression de sang qui se déverse, la fête en elle-même est impressionnante. De là émerge Eva (Tilda Swinton) portée au-dessus  de la foule et le visage radieux.

Le récit du film (d’après un roman de Lionel Shriver) est fragmenté, vaporeux même. En reconstituant la continuité, la Tomatina est le point de départ de cette histoire.  En Espagne, le couple Tilda Swinton – John C. Reilly va bientôt concevoir leur premier enfant. Et pour elle, ce sera le début de la fin, la fin d’une vie heureuse et dédiée avant tout aux voyages, sa passion.

Kevin, l’enfant d’Eva, se révèle vite insupportable. Il est un bébé criard, excessivement même, et qui casse tellement les oreilles de sa maman que pour elle, rester plantée avec la poussette devant un marteau-piqueur en marche est source d’un bref apaisement. C’est dire.

Eva est une maman qui renonce, et trop vite. Elle se persuade que l’enfant n’agit que dans le but de la contrarier toujours. Comme tout est vu de son point de vue exclusif, parce que le père est lui absent et voit les choses différemment, on a vite le sentiment d’un enfant maléfique, un monstre digne des pires chérubins du cinéma fantastique, de Damien à Joshua. Mais n’est ce pas de sa faute si Kevin se construit autant dans une opposition systématique à elle ?

On est pas dans le cas de Joshua, un enfant machiavélique et ultra manipulateur. On est dans un cheminement différent, ou une mère précipite son malheur car elle ne montre aucun talent à l’éducation de son enfant. Elle est la cause première de qu’il devient, même si sa responsabilité est floue et à nuancer. On peut tout aussi bien envisager Eva comme une mère patiente et qui fait des efforts car c’est bien le cas.

Certes, nul ne peut savoir qu’il enfante potentiellement un monstre, mais en même temps, ça n’a pas vraiment de sens que de penser qu’un bébé puisse être un diable pervers et calculateur. La personnalité s’acquiert plus qu’elle n’est innée.
De là s’explique ce que la société inflige à Eva. Elle est dénigrée, mise à l’index car elle est justement vue comme responsable de ce que Kevin a fait, et qu’importe que la sanction puisse paraître injuste et monstrueuse elle-même.

Le film navigue entre ces deux sentiments. Le spectateur est placé du côté de la mère, mais son innocence est nuancée par son incapacité à obtenir quoi que ce soit de son enfant. Elle est bien dans son rôle de maman, elle essaye mais n’y arrive pas car elle renonce. La seule fois ou elle fait preuve d’autorité et de dureté, la leçon est retenue et Kevin le reconnait lui-même. Le film est donc bien le récit d’un échec, plus que celui d’un fait divers cruel et sordide. Lynne Ramsay le raconte par petites touches éparses, selon un parcours narratif compliqué, peut-être justement parce qu’en cherchant des réponses au pourquoi Kevin a fait ce qu’il a fait, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de raison unique et d’explication simple. La vérité est beaucoup plus trouble et le film laisse d’ailleurs le spectateur à un sentiment inconfortable.

Benoît Thevenin

We need to talk about Kevin ***1/2

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