L’actualité nous fournit de trop nombreux exemples d’une démocratie malade. Les cinéastes à l’instar de tous leurs collègues artistes, ont vocation à dépeindre le monde dans lequel ils vivent et à rendre compte d’une réalité. Le nouveau film d’Alain Cavalier représente une tentative originale – et étonnante – de répondre à certaines questions qui se posent.
Cinéaste engagé dès ses débuts en pleine guerre d’Algérie, Alain Cavalier s’est peu à peu détourné du cinéma narratif classique pour une forme plus intime et proche du documentaire. Cavalier se plait à brouiller les pistes, toujours avec subtilité et intelligence, et il n’est pas toujours aisé de ranger ses films dans des cases – ce qui de toute façon n’est pas un but.
Roi français du journal filmé, Alain Cavalier convoque (littéralement) avec Pater, l’acteur Vincent Lindon, alors en tournage de La Permission de Minuit de Delphine Gleize. Le fait est notable car on avait plus vu un comédien réputé dans les films d’Alain Cavalier depuis Jean Rochefort dans Un Etrange voyage en 1980. Alain Cavalier avait alors déjà amorcé son virage – dès 1976 avec Le Plein de Super même – vers un cinéma documentariste, avec cette habitude prise de déshabiller les acteurs connus de leur costume de lumière et de les faire apparaître presque comme nus, simplement tel qu’ils sont.
Depuis cette époque, Alain Cavalier a recentré son travail vers sa propre intimité, se débarrassant toujours plus des apparats du cinéma. Une caméra DV, son intelligence et sa sincérité, suffisent à capter à chaque fois notre attention pour des portraits sensibles et émouvants, et à la portée bien plus large que celle supposée sur le papier.
Dans Pater, Alain Cavalier engage un échange avec le comédien Vincent Lindon, avec une distribution des rôles installée sans trop prévenir. Alain Cavalier joue au Président de la République et nomme Vincent Lindon Premier ministre. Le dialogue s’amorce entre les deux, dans le cadre minimaliste d’un appartement certes bourgeois mais qui n’a aucune commune mesure avec celui de l’Elysée. Et si des personnes traversent brièvement le film, présentés soit comme conseiller soit comme chauffeur, c’est un tête à tête auquel se livre les deux personnages.
La chose qui saute aux yeux, c’est d’abord la malice d’Alain Cavalier, comment il arrive à nous embarquer dans son fantaisiste jeu de rôle. Le dialogue est savoureux, où l’on devine une part de préparation qui est quand même probablement inférieure à celle d’improvisation. Alain Cavalier, chef d’Etat aux faux airs – physiques – de Jean-Pierre Chevènement, est un président paternaliste, ou du moins qui se révèle en tant que tel vis à vis de son premier ministre, lequel n’avait vraisemblablement pas cette ambition là avant d’être nommé mais qui se dit « eh oui, pourquoi pas moi ? ».
Le Premier ministre Lindon est choisi pour porter une réforme importante à quelques encablures de la probable réélection du président Cavalier. Lindon a deux obsessions, éthique et égalitariste, qui correspondent à l’image que renvoie souvent l’acteur lorsqu’il s’exprime publiquement, c’est à dire un acteur citoyen, conscient politiquement, modeste quant à sa position et son statut de comédien, mais qui dénonce ce qui lui parait injuste, qui lance des coups de gueule quand il est révolté, qui use de sa parole avec franchise et dans un soucis permanent de justice entre les Hommes. C’est bien ce caractère là qui s’exprime dans Pater.
Le film s’intègre pleinement au cadre politique dans lequel il sort : un président en fin de mandat, qui pense à sa réélection, et un contexte économique qui oblige à des réformes importantes. Le Premier ministre Lindon défend son projet phare, celui d’une réduction d’échelle des écarts entre plus bas et plus hauts salaires, par la loi. Il souhaite aussi la responsabilisation totale des élus avec l’idée d’une peine pénale maximale encourue dès le premier euro publique détourné.
Ces grandes lignes du programme gouvernemental servent à alimenter un débat qui dépasse celui de la simple justesse et/ou faisabilité de ses mesures. Pater peut agacer le spectateur partisan mais Pater n’est surtout pas un film partisan. A travers son débat fictif, Alain Cavalier fait l’éloge de la politique, lui redonne du sens, interroge son éthique fondamentale, le tout avec beaucoup d’inventivité et d’humour. Cavalier séduit car il place la morale, tellement souvent salie au quotidien dans le véritable débat politique, au coeur de son propos. Il n’y a pas là de démagogie, mais plutôt la défense d’un idéal, d’une utopie, qui se révèle à la fois dans le discours et dans le dispositif de mise en scène choisit par Cavalier.
Si Lindon prône l’égalité entre chacun, Cavalier l’applique lui à travers ses choix. Lindon et Cavalier sont mis face à face, au même niveau, avec une caméra qui passe des mains de l’un aux mains de l’autre. Le Président a une autorité morale sur le Premier ministre, mais jamais le Président n’est mis sur un piédestal par rapport à ce dernier. L’autorité morale se dilue même à travers la construction du personnage du Premier ministre. A l’exemple de nombreux cas réels, l’ambition du Premier ministre grandit, jusqu’à devenir candidat lui-même pour la prochaine élection. A ce moment là, le Premier ministre tue son père politique, celui qui l’a fait en le nommant, et ils parachèvent ainsi la mise à la même hauteur des deux personnages, tout en restant loyaux l’un à l’autre, car l’éthique reste fondamentale.
Ainsi, Pater ne manque pas de faire échos au débat politique réel. Le film a été montré pour la première fois à Cannes en compétition et au lendemain de l’arrestation à New York de Dominique Strauss-Kahn pour agression sexuelle. Difficile dès lors d’échapper à la coïncidence. Ce jour là, DSK bafouait en un revers toute son action politique et toute son autorité morale. Une scène dans le film fait directement écho à cette affaire, quand un conseiller porte à la connaissance du président Cavalier l’existence de photos compromettantes pour son rival à la présidentielle. Cavalier prend le parti d’ignorer l’existence de ses photos, préférant le débat des idées plutôt que le spectacle de la bataille rangée. L’éthique est ici aussi privilégiée, là ou dans la réalité des faits, le débat politique est trop souvent corrompu par l’amoralité. Avec l’affaire DSK on atteint la cime de l’obscène, alors que ce que nous offre Cavalier en se mettant à nu lui et Vincent Lindon n’a rien d’impudique. Au contraire, il replace la politique sur de bons rails et lui redonne un sens réel. En ça, Pater est (franchement) salutaire.
Benoît Thevenin
Pater
Sortie française le 22 juin 2011
C’aurait été salutaire pour le cinéma, et rafraichissant, et enthousiasmant, que le film figure au palmarès cannois, dommage.
il y a beaucoup d’émotion dans ce film intimiste ; de l »amitié et de l’amour même entre ces deux hommes qui se respectent et s’estiment. J’ai eu le sourire tout le long du film.
Le film de mon grand oncle :’) Je suis heureux de lire des commentaires positifs