Melancholia de Lars von Trier (2011)

Bien malheureusement, on a plus parlé à Cannes des propos ambigus tenus par Lars von Trier lors de la conférence de presse de Melancholia, que du film lui-même. Ce qui a attisé la flamme à l’origine de l’incendie, c’est en premier lieu le prologue du film, une succession de tableaux très symboliques, sous fond de Wagner, et inspirés de l’art romantique allemand. Melancholia se trouve ainsi directement dans la continuité de Antichrist, son précédent film avec déjà Charlotte Gainsbourg, avec qui il partage aussi quelque peu une esthétique, et clairement se dessine l’idée d’un diptyque.

Comme dans Antichrist, Lars von Trier isole ses personnages : Willem Dafoe et Charlotte Gainsbourg se retirent dans un chalet au milieu de la forêt dans Antichrist quand le domaine familial dans Melancholia parait lui aussi coupé du monde, situé dans un endroit a priori indéterminé. Dans les deux films la situation se détériore, se désagrège et aucune échappatoire ne s’offre aux personnages. L’Homme est seul et faible face à la grandeur de la Nature, soit une idée forte des romantiques allemands.

Ces références ont induite la question du rapport de Lars von Trier à l’Art Allemand, et de là, non sans provocation, l’échange avec la presse a dérapé. N’y revenons plus.

Dans Melancholia, Lars von Trier oppose deux soeurs aux tempéraments opposés et consacre a chacune une partie du film. La première est centrée sur Justine (Kirsten Dunst) et son mariage avec Michael (Alexander Skarsgård). Justine est mal dans sa peau, tourmentée, et la réception consécutive à la cérémonie de son mariage se déroule plutôt mal, sous tension. Lars von Trier inscrit là son film dans la lignée de Dogma95. Il n’en respecte pas les règles, mais la caméra portée, le contexte de rivalités familiales invite assez naturellement à la comparaison avec Festen de Thomas Vinterberg.

La seconde partie du film est plutôt axée sur Claire (Charlotte Gainsbourg), une femme au caractère nettement plus affirmé que celui de sa plus jeune soeur. Elle est l’épouse de John (Kiefer Sutherland), un éminent scientifique intéressés par le mouvement des astres. La planète Melancholia, dix fois plus grande que la Terre, se dirige vers elle et menace de rentrer en collision. Selon les calculs de John, Melancholia va seulement frôler la Terre. Néanmoins, le doute s’instaure. Justine se noie dans ses tourments, elle est terriblement affectée et dépressive. Elle doute de John, ne croit pas en ses prophéties et a l’intuition du désastre. Preuve de l’intensité de son spleen, ce n’est pas l’idée de la fin du monde qui l’effraie. Elle est en fait soulagée d’en finir, que le cosmos se débarrasse de l’humain : « La vie sur terre est mauvaise, elle ne manquera à personne. » Dans les propos de Justine, on reconnait toute la misanthropie du cinéaste. Lars von Trier nous raconte une fin du monde singulière, ou l’effort de survie est vain, illusoire, ou le personnage principal est dans la résignation. Mieux, le cinéaste fait l’éloge de cette fin du monde. Le spectacle de la destruction est d’une beauté sidérante. L’image de cette planète qui fonce droit sur la Terre, qui fonce droit sur les personnages, évoque là encore l’art romantique allemand tel Le Voyageur au-dessus de la mer de nuage de Casper David Friedrich. L’humanité se retrouve réduite à rien, un noyau de personnes impuissantes face à une nature flamboyante, lumineuse, et qui fait table rase de tout. En cela, Melancholia est le film le plus radical de Lars von Trier, le film qui signifie plus que tous les autres sont dégoût de l’humain, et sa foi en une puissance supérieure. Peut-être, simplement, Melancholia est le chef d’oeuvre de Lars Von Trier.

Benoît Thevenin

Melancholia *****

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2 commentaires sur “Melancholia de Lars von Trier (2011)”

  1. selenie dit :

    La fin du monde est proche mais le monde semble inerte et amorphe (pas d’armée, pas de médias, pas de paniques… etc…) et dans un tel moment personne de joint personne ni même le père qui semble pourtant proche de ses filles. Le film coupé en deux pour bien montrer les deux dépressions distinctes n’est pas approprié car pas de réel intérêt à ce montage. En résumé le fond reste inintéressant, vide et donne la sensation d’être un film prétentieux sans réel message. Dans la forme les images sont superbes avec des scènes d’une grâce inouïe. Mais ce sont bien les acteurs qui sauvent le film. Le duo Charlotte Gainsbourg-Kirsten Dunst est d’une beauté et d’une justesse parfaite sans oublier Kiefer Sutherland dans un de ses meilleurs rôles. 1/4

  2. jeffffffff dit :

    Melancholia de Lars von Trier

    Menuet fatal

    Le traitement de la fin du monde par Lars von Trier ne laisse pas indifférent. S’éloignant des blockbusters, il traite le sujet en lui donnant le goût d’une fable poétique et dramatique.
    Après une introduction exhalant un romantisme teinté de morbide, l’humeur de notre héroïne, Kirsten Dunst, se délite au fur et à mesure que la menace se précise. Elle tente bien de donner le change devant les invités de son propre mariage mais finalement la dépression la submerge. Le couple naissant n’y résiste pas et le flot de sa douleur emporte le bonheur convenu. La dépression est la plus forte comme cette planète, Melancholia, qui exécute un dangereux pas de deux avec la terre.
    Mais la terre n’est pas la seule victime, la raison aussi sort vaincue de ce menuet. Le gendre, scientifique aux certitudes bien campées, et qui incarne ici la raison, fini par être vaincu dans cette danse lascive entre les planètes. L’intuition de sa belle-sœur est bien plus clairvoyante que les certitudes du monde scientifique. Il est vrai que le réalisateur fait dire à l’héroïne qu’il n’y a rien attendre de la vie car « ici tout est mauvais ».
    Le film est subtilement rythmé par un montage prenant le partie d’une caméra alternant des plans fixes ou à l’épaule, suggérant la quiétude ou la menace.
    Dans ce monde ou les faux semblants alternent avec le désespoir, le malheur comme le bonheur bégaient. Le refuge se trouve alors dans le règne du monde animal, incarné par des chevaux, qui a l’approche du dénouement final s’apaisent, et dans la nature – apparemment paisible – mais tout aussi inquiétante. On peut évidemment être gêné par le nihilisme apocalyptique de l’auteur. Ame sensible s’abstenir.
    L’attitude de la mariée, « insensée » aux yeux de notre scientifique, préfigure en fait le destin de tous. En nous confrontant à l’expérience d’une mort certaine, il fait appel à notre humanité, et nous invite à livrer les clés de la vie.
    Mais pour Lars von Trier, il semble qu’elle n’ait pas d’issue, au final : le manoir est un linceul d’où personne ne peut s’échapper (ni à cheval ni en voiture). Malgré quelques sursauts, la fatalité d’un destin tragique domine. Et dans le plan final, à la beauté cruelle et frappante, il finit d’achever sa démonstration d’un cinéma dans la pleine puissance de ses moyens et dans le constat désabusé du monde. Beau film à la beauté vénéneuse.

    http://www.jeanboye.fr/index.php?option=com_zoo&task=item&item_id=22&Itemid=57

    Melancholia
    Date de sortie cinéma : 10 août 2011
    Réalisé par Lars von Trier
    Avec John Hurt, Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg
    Long-métrage français, danois, suédois, allemand.
    Genre : Science-fiction, Drame
    Durée : 02h10min
    Prix d’interprétation féminine : Festival de Cannes 2011
    Synopsis : À l’occasion de leur mariage, Justine et Michael donnent une somptueuse réception dans la maison de la soeur de Justine et de son beau-frère. Pendant ce temps, la planète Melancholia se dirige vers la Terre…

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