Le pré-générique, constitué d’images d’archives – une interview de Maïwenn enfant – rappelle que celle dont on se souvenait surtout qu’elle avait été la très jeune épouse de Luc Besson, a été lancée très tôt sur les plateaux de cinéma. Maïwenn accompagnait sa maman, actrice ratée, aux cours du Conservatoire de théâtre et sur les plateaux de tournage. Cette maman voulait faire de sa fille une star. Peut-être est-elle fière maintenant. Dès 7 ans, Maïwenn jouait le rôle d’Isabelle Adjani enfant dans L’Eté meurtrier de Jean Becker (1983), pour ce qui est sa première apparition notable au cinéma.
Maïwenn est une actrice, elle a toujours été une actrice, et le revendique déjà dans cette entretien en vidéo. On découvre une petite fille espiègle, un peu timide mais au caractère déjà affirmé. A la question « Tu vas devenir comédienne ? », elle répond avec son plus beau sourire « je le suis déjà je crois ». Comme beaucoup de petites filles elle se rêvait princesse, et y est parvenue très vite, mais dans un royaume fait de paillettes, un monde d’illusion et ou son revers, la désillusion, ne se cache jamais très loin.
Pour son premier long-métrage, Maïwenn a choisit l’auto-fiction, et si le titre est supplicieux, c’est parce que Maïwenn déballe son linge sale et règle ses comptes avec sa famille. Elle se met en scène dans son propre rôle (ici nommée Violette) et face à des acteurs connus qui jouent ses proches.
Le film n’est signé que de son seul prénom, comme pour se débarrasser définitivement de tout lien de filiation avec un père contre qui elle porte de nombreux griefs. Déjà enfant, dans les images de l’interview d’elle gamine qui sont intercalées à divers moment du film, Maïwenn refuse de parler de son père, et l’on devine un malaise. Ce malaise a pris corps dès la première séquence de Pardonnez-moi. Le père (Pascal Greggory) assiste à la dernière du one-woman-show de sa fille, dans lequel Violette jette à la face du public, et donc de son papa, une scène d’humiliation père-fille devant laquelle le public au sens le plus large, spectateurs du film compris, rit jaune.
Maïwenn n’a pas pris la caméra pour ménager qui que ce soit. C’est pour cela que le titre est à la deuxième personne du pluriel de l’impératif. Elle ne règle pas ses comptes qu’avec son père, mais avec tout son entourage. Le père et la mère (Marie-France Pisier) sont séparés, la soeur aînée (Hélène de Fougerolles) fait de son mieux pour que les morceaux collent, mais tout va voler en éclat face à la caméra de Violette.
Dans le film, Violette est enceinte et le film qu’elle tourne est adressé au bébé, « pour lui dire d’où il vient, qu’il naisse dans la vérité ». Violette montre deux parents qui n’en ont jamais rien eu à faire d’elle. Sa mère, extrêmement narcissique, n’est sensible qu’aux compliments qu’elle reçoit, se préoccupe plus de son apparence dans les images que filme sa fille, que des problèmes que cette dernière peut avoir. A son père, elle lui reproche sa violence, elle l’accuse de l’avoir battu pendant dix années de son enfance et l’on sent qu’il se retient de faire exploser de nouveau sa colère quand elle lui hurle dessus.
Violette/Maïwenn a décidé de n’épargner personne, d’aller au conflit. Quand elle commence de tourner son film dans le film, elle se confronte à son compagnon, le père de l’enfant qu’elle porte. « Raconte-moi, comment on s’est rencontré… Non. Raconte-moi comment tu m’as forcé à avorter ». Pourquoi tourner autour du pot ? Sa démarche est purement cathartique alors elle va droit au but et sans prendre de pincette. Elle n’en utilise pas plus lorsqu’elle révèle face caméra à sa soeur cadette (Mélanie Thierry), l’identité de celui qui se présente soudain comme le vrai père de celle-ci (Aurélien Recoing).
Ce secret là est éventé devant tous les membres de cette famille, dans une scène qui rappelle brutalement les règlements de compte intra-familiaux dans Festen de Thomas Vinterberg. Dans sa manière même de faire son film, en mettant en scène une sorte de making-off de son documentaire, il y a quelque chose qui se rapproche du Dogme. Violette filme en continue, sans aucun artifice de mise en scène, sans chercher le bon éclairage ou quoique ce soit d’esthétique. Ceci vaut donc pour le film à l’intérieur du film, car Pardonnez-moi, sinon, est un film ou tout est reconstitué, ou la mise en scène est pensée, ou la réalisatrice alterne les points de vue entre une caméra extérieure et celle intérieure de Violette en train de tout filmer ; sans compter les acteurs, tous des comédiens professionnels qui jouent chacun un rôle.
Maïwenn réussit quand même parfaitement à faire ressentir la vérité de ce qu’elle montre. Le film est cru, quasi authentique, et parvient à mettre mal à l’aise le spectateur. Ce malaise est autant du au fait qu’on assiste à un déballage à la fois cruel et poignant mais qui aussi, à priori, ne nous concerne pas. On peut très bien se dire que chaque famille à ses problèmes et sans doute certains estiment qu’ils n’ont pas envie de voir ça. Ou alors de reconnaître que le film une portée plus large, qu’il peut parler à toutes les victimes des drames qui se nouent dans les familles, inciter à lutter contre les tabous qui y restent enterrés dans les jardins, à crever les abcès.
Pardonnez-moi n’est certes pas fait pour inciter à la révolte, mais il montre une jeune femme traumatisée par son enfance et qui, en mettant tout sur la table, espère se reconstruire.
Maïwenn puise ainsi dans les traumatismes de son enfance la substance de tout son travail de réalisatrice. Pardonnez-moi marque par la rage qui est contenue dedans, et, au-détour d’une réplique, elle annonce ce qui sera quelques années plus tard, son troisième film, Polisse (2011). Dans un échange avec son petit-ami, lequel lit un journal où l’on revient sur l’affaire d’Outreau, Violette dit « Ca m’énerve ces histoires ou on fait passer les enfants pour des mythos ». C’est là très précisément ce qui fera l’ouverture de Polisse, une séquence dans laquelle un enfant dénonce devant les inspecteurs de la BPM les actes qu’il subit de par son grand-père.
Benoît Thevenin
Pardonnez-moi
Sortie française le 22 novembre 2006