Visiblement, Philippe Ramos aime beaucoup Leonard Cohen, et il a bien raison. Adieu pays, son premier long-métrage en 2002, s’achevait sur la belle ballade Hey, thats no way to say goodbye. Dès lors, on a comme un soupçon : son envie de mettre en scène, lui aussi, le destin de Jeanne d’Arc, figure historique tellement incarnée au cinéma, dès ses prémisses avec George Méliès en 1900, ne viendrait-elle pas par hasard de l’écoute de Joan of Arc, autre très belle chanson de Leonard Cohen. Car oui, Jeanne d’Arc n’a pas inspiré que des cinéastes.
La Jeanne d’Arc de Philippe Ramos correspond en tout cas assez bien à celle décrite par Leonard Cohen, une Jeanne d’Arc vaincue et fatiguée. Chez Cohen, cela donne « She said : i’m tired of the war ». Comme on n’a pas plus interrogé Philippe Ramos pour lui poser la question que le cinéaste n’a osé l’anachronisme d’utiliser cette chanson, on ne va pas épiloguer sur cette interrogation.
En revanche, on peu constater – mais ce n’est pas lié, du tout – que le film se construit comme une complainte égraine ses couplets. A chaque séquence, ou presque, correspond une visite auprès de Jeanne. Chacun arrive dans le film puis en sort, cherche le dialogue avec Jeanne puis s’évapore, à l’exception du seigneur (Louis-Do de Lencquesaing) qui la retient prisonnière et que l’on reverra lorsqu’il la vend aux Anglais. Ainsi chaque rencontre représente un épisode du parcours final de Jeanne et à une façon de voir Jeanne, qui varie subrepticement.
Les films de Philippe Ramos décrivent des moments de creux, d’entre-deux. Les personnages d’Adieu pays sont sur le départ, Capitaine Achab est enfant avant de partir en chasse de la baleine Moby Dick et cette Jeanne D’Arc, elle est captive et dans l’attente qu’on la livre à son sort. Elle est résignée au point de renoncer à Dieu en cherchant à se suicider. Sa chute de la tour du château (1) dans lequel elle est retenue n’est pas fatale et représente un défi à ce Dieu qu’elle aime et qui l’a abandonné. Jeanne s’enferme dans son mutisme, en réponse au silence de Dieu dont elle n’entend plus la voix.
Le choix de Clémence Poesy pour incarner Jeanne d’Arc est une excellente idée. Elle a cette jeunesse fragile et adolescente et en même temps, elle parvient à transmettre la ferveur mystique qui habite le personnage. Philippe Ramos choisit de rester au plus près de Jeanne, et capte quelque chose de sensuel et de sensible. On rentre vraiment en empathie avec cette Jeanne. dont la caméra s’éloigne peu à peu, jusqu’à établir une distance véritable lorsqu’elle va au bûcher. La scène, pas forcément évidente à intégrer dans un film qui fait l’économie de tout artifice et qui privilégie le dépouillement, n’est en l’occurrence pas du tout la plus réussie mais cadre bien avec cette logique d’éloignement.
Même si Jeanne Captive ne constitue pas au final la vision la plus marquante de l’histoire de Jeanne d’Arc, et même si l’on peut douter qu’une Nana (Anna Karina dans Vivre sa vie) se trouve bouleversée au point de verser toutes les larmes de son corps face au film, il n’en reste pas moins qu’il y a là assez de justesse, assez de tendresse pour cette héroïne, pour que l’on soit sensible et charmé.
Benoît Thevenin
(1) ce château a également servi de cadre pour plusieurs scènes du Jeanne d’Arc de Luc Besson (1999)
Jeanne Captive
Sortie française le 16 novembre 2011
ce film je l’ai visionné à la manière de la lecture d’un poème , un très grand poème !