Confessions d’un homme dangereux (Confessions of a Dangerous Mind) de George Clooney (2003)

Au fait, qu’est devenu Charlie Kaufman ? Nous sommes à la fin de l’année 2011 et nous n’avons aucune nouvelle de ce scénariste décrit souvent, au milieu des années 2000, comme un petit génie atypique. Collaborateur fétiche de Spike Jonze et Michel Gondry, il est notamment l’auteur de scripts géniaux, de Dans la peau de John Malkovich (1999) et Adaptation (2002) à Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004). Seul deux de ses scénarii ont été portés à l’écran par un autre réalisateur que Gondry ou Jonze. Pour l’un, qui demeure à ce jour sa dernière contribution à la cinéphilie mondiale, il s’est chargé lui-même de la mise en scène pour ses débuts de cinéaste et un résultat très fraichement accueilli à Cannes (Synecdoche, New York, en compétition officielle en 2008). C’est peut-être là que le bât blesse ? Charlie Kaufman a en tout cas disparu des radars et demeure une personalité très mystérieuse.

Mystérieux, Chuck Barris l’est également et il est très cohérent que Kaufman se soit chargé de scénariser ses mémoires, pour une réalisation confiée à l’acteur George Clooney. La star signe là ses premiers pas de cinéaste (et c’est donc à lui que cet autre scénario de Charlie Kaufman non adapté par Jonze ou Gondry revient). Clooney, s’appuie notamment sur Section Eight, la compagnie de production qu’il a fondé avec Steven Soderbergh, pour produire le film, et s’entoure de quelques uns de ses amis à Hollywood dont, outre Steven Soderbergh dans les rouages de la production, le directeur photo Newton Thomas Sigel. Sinon, les amis les plus faciles à repérer dans le film sont bien évidemment les acteurs. Ses partenaires dans Ocean’s Eleven de Steven Soderbergh (2001), Julia Robert, Brad Pitt et Matt Damon, participent au film. Pour les deux derniers cités, il ne s’agit cependant que d’une apparition amicale en forme de simple cameo. Julia Roberts incarne elle un second-rôle clé dans l’intrigue.

Julia Robert joue le rôle du contact de Chuck Barris (Sam Rockwell) lorsqu’il se retrouve en mission à l’étranger. Barris, qui a connu une enfance un peu tordue (le rôle de Chuck  enfant est joué, par le jeune Michael Cera, pas encore éternel adolescent) cherche à s’émanciper de sa cambrousse natale et à partir à la conquête d’une vie facile ou il sera entouré de jolies femmes. Il débarque à Los Angeles, va gravir les échelons au sein de la chaîne ABC, et devenir un présentateur vedette d’émissions de divertissement. Un homme mystérieux (George Clooney lui-même) le suit et le sollicite un jour pour oeuvrer comme espion pour le compte de la CIA. Son rôle de présentateur télé constitue paradoxalement – du fait de son exposition au grand publique – la meilleure couverture possible. C’est ainsi que Chuck Barris devient tueur à gage pour la CIA, et trouve en Julia Roberts la femme fatale du polar personnel qu’il prétend vivre.

Tout le mystère se situe là. Chuck Barris prétend dans ses mémoires avoir agit pour le compte de la CIA dans le cadre de missions ultra-secrètes, mais cette même CIA a toujours nié les faits… Qui est donc Chuck Barris ? Un fabulateur fantasque ? C’est tout-à-fait imaginable. Il est en tout cas un personnage suffisamment improbable pour intéresser Charlie Kaufman.

L’adaptation est fidèle au récit de Chuck Barris, lequel a d’ailleurs été sollicité comme consultant sur le tournage. Néanmoins, il y a suffisamment d’humour dans le film – de l’ironie mais aussi un sens du sarcasme – pour que l’on devine qu’on part du principe que l’histoire de Chuck Barris est faussement sérieuse. On fait comme si on y croyait, mais au fond, tout ceci n’est qu’une gigantesque farce.

Le film fournit la base à une critique de la télévision et du spectacle. Chuck Barris est le créateur dans les années 60 d’émissions populaires telles The Dating Game et The Gong Show. La première est la version originale de Tournez Manège, émission phare de TF1 dans les années 80. L’autre a sans doute inspiré des programmes comme La Nouvelle Star et ses avatars. Dans les séquences reconstituées d’enregistrement des émissions, on voit ainsi déjà des candidats sacrifier leur dignité au profit d’une exposition à la télé, et cela est appuyé par les propos tenus par Barris lui-même dans le film. Les gens sont prêt à se rendre ridicule pour passer à la télévision. Confessions d’un homme dangereux sort en 2003 en France, à un moment ou les show de télé-réalité s’installent solidement dans les programmations des télés du monde occidental, pour le meilleur (peut-être parfois), mais surtout pour le pire. Si le film de Clooney montre ainsi que les racines du phénomène sont lointaines ( c’est l’époque où, en 1968, Andy Warhol invente l’expression de « quart d’heure de célébrité »), il illustre aussi un phénomène très actuel.

Dans Confessions d’un homme dangereux, tout est spectacle. Si l’on part du principe que Barris fabule, tout ce qu’il vit  se joue au coeur de ses propres mise en scène, qu’il s’agisse des émissions qu’il crée, ou des missions qu’il s’invente. La scène, absurde, ou Barris est à ce point perdu dans les méandres de sa paranoïa qu’il imagine un candidat de son show être un espion voulant sa peau, montre à quel point soudain les frontières entre les deux univers sont perméables. La mise en scène de Clooney va dans le même sens, avec des séquences qui, dans une même continuité, font le passage entre le théâtre des opérations secrètes et le théâtre des enregistrements télé.

Cet enchevêtrement correspond au travail de Charlie Kaufman en général, ou il a toujours été question de mise en abîme et de personnalités un peu barges. Pour Clooney, qui se révèle là un réalisateur intéressant, qui ose de vrais choix de mise en scène, qui soigne sa réalisation et le tout avec beaucoup d’élégance même, il s’agit aussi de sa première pierre à ce qui va constituer ensuite une interrogation constante : la célébrité et le spectacle médiatique souvent fait de jeux de dupes. On le connaissait excellent acteur, on lui découvre un nouveau talent. Il a effectivement confirmé depuis qu’il ne s’est pas juste accordé un petit plaisir pour satisfaire une lubie. Il embrassait là une véritable carrière de cinéaste, qui allait se révéler autant passionnante que son parcours d’acteur.

Benoît Thevenin

Confessions d’un homme dangereux ****

Sortie française le 11 juin 2003

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