Il y a des films qui ne laissent pas insensibles, qui dressent un portrait impitoyable de la société dans laquelle nous vivons. Ils sont essentiels, mais par leur dureté, leur âpreté, ils semblent détourner l’attention du grand public. Il est certain que La Blessure ne risquait pas d’être très populaire mais en même temps, on est en droit de le regretter. La Blessure est un film qui nous ouvre les yeux.
Sorti le 6 avril 2005, La blessure de Nicolas Klotz annonçait, en fait, les drames à venir de l’été. Au départ, il ne s’agit guère que d’un film très ancré socialement, et au sujet révoltant.
Cet été, des appartements insalubres ont brûlé provoquant la mort de dizaines de personnes, d’origine africaines le plus souvent. Des familles entières, où presque, décimées. Il y a alors eu comme un éveil de conscience par rapport à ces marchands de sommeil sans scrupules, ces familles livrées à elles même etc…
La Blessure est d’abord un film-enqûete. Il n’a rien du film militant. Bien sûr, les thèmes qui se rattachent à ce film ne sensibilisent pas de la même manière selon que l’on vote à droite ou à gauche. Encore que… Il suffit d’un minimum d’humanité pour apprécier l’existence d’un tel témoignage.
La Blessure commence à l’aéroport de Roissy. Des dizaines d’immigrés clandestins attendent dans une cellule d’ être renvoyés dans un avion vers leur pays d’origine. D’emblée, une tension s’impose. Il y a une véritable dureté, une violence crue que l’on ne peut s’empêcher de savoir tellement vraie, tellement réelle et pourtant si étrangère à nos petites vies.
Là encore, l’actualité a donné raison au film. Nicolas Sarkozy est le maître d’oeuvre actuellement d’une politique d’immigration extrêmement dure. On en pense ce que l’ont veut, la réalité de l’immigration est bien trop complexe pour que l’on s’attache en quelques mots à dénigrer de but en blanc une politique donnée. Ce n’est pas l’endroit pour. Mais toujours est-il que les violences qui ont pu être relatées dans les médias rappelaient en certaines circonstances la dureté des scènes dans le film de Nicolas Klotz.
La Blessure n’est que du cinéma. Et pourtant, en lisant, écoutant etc. les médias, défilent devant nos yeux les même séquences. Les médias nous décrivent des évènements semblables, des trajectoires peu ou proue équivalentes à celles des personnages du film.
La Blessure commence donc dans un aéroport. Des dizaines d’immigrés clandestins attendent. Ils sont entassés dans une cellule trop petite pour les contenir tous. Les conditions sont assez insalubres, l’attente est longue, la communication réduite à néant. La police fait son travail, un travail et nous apparaît inhumaine. Le fossé est énorme entre ces deux mondes. Il y a comme une guerre. D’un côté, ces personnes prêtes à tout pour rentrer sur le territoire français, de l’autre une police obligée de se faire respecter et qui use de son autorité. Difficile de se ranger vraiment d’un côté ou de l’autre. Il est assez évident de défendre le plus faible mais la réalité est tout autre. L’injustice nous semble pourtant tellement évidente.
Le film de Nicolas Klotz est un film somme. L’enquête est minutieuse, rien n’est laissé au hasard. Le réalisateur englobe toute une réalité, il ne la dénonce pas, il la montre. Il faut prendre conscience de ceci.
L’incommunicabilité est au centre de tout. Les discours ne valent rien car chacun est confronté à une réalité qui lui est propre mais étrangère à l’autre. On demande de remplir des formulaires sans doute inutiles, il y a des fouilles au corps qui place les personnes encore plus seules face à elle-même. Et ses blessures, au cœur bien sûr, mais à la jambe aussi. Cette blessure de Blandine la « sauvera ». Pendant le transfert forcé, Blandine lutte. Une porte se referme sur elle et la blesse. Cette blessure est la preuve que Blandine n’est ni tout à fait de retour à Kinshasa, ni vraiment arrivé à Paris. Elle est entre deux. Blandine est soignée. Plus tard elle rejoindra Papi, son mari. Dès lors une autre réalité s’impose. Il faut survivre dans les dédales impitoyables de la société française.
Nicolas Klotz film ses personnages avec une telle pudeur que leurs drames nous sont d’autant plus proche. Il y a une intelligence dans le choix des cadrages et de la lumière. Blandine, Papi est les autres subissent, survivent. Ils sont dans le dénuement le plus total. Un dénuement tout à fait contenu dans les plans du cinéaste : les longs plans fixes induisent la solitude, l’exil. Les plans sombres renvoient fatalement à l’état d’isolement de ses personnes, pas tout à fait en droit de vivre sur le sol français. En marge donc.
Le récit du film est celui du combat de quelques personnages pour leur survie. La violence du propos va de paire avec la précision du regard de Klotz. A la fin, le film nous hante. La douleur nous est comme propre à nous même. Le film ouvre une blessure en nous. Non pas qu’il nous fasse culpabiliser, ce n’est pas le but, mais seulement parce que l’ont prend conscience de la violence dans laquelle baigne certains destins. La vie est un combat.
Les résonances qui ont suivi la sortie du film ne lui confèrent que plus d’impact. L’équation est tellement difficile à résoudre que l’on se sent impuissant pour longtemps encore. Il n’y a pas de réponses simples mais ce n’est pas une raison pour continuer à fermer les yeux.
La Blessure
Sortie française le 6 avril 2005