Jusqu’alors, on ne connaissait Robin Williams que pour ses rôles facétieux, ses personnages de pitre dont il ne s’est jamais vraiment départi. Il n’y a guère que lorsqu’il enfile les habits de professeur, dans Le Cercle des poètes disparus (Peter Weir, 1989) ou Will Hunting (Gus Van Sant, 1997), que l’on a eu affaire à un Robin Williams véritablement sérieux. Photo Obsession, qu’il tourne en 2001 pour une sortie en 2002 représente à cet égard un petit tournant dans la filmographie de Williams.
Le film est le second long-métrage de Mark Romanek, clippeur parmi les plus estimé dans les années 90, auteur de vidéos pour Johnny Cash (Hurt), Fiona Apple (Criminal), Michael & Janet Jackson (Scream) ou encore Mick Jagger (God Gave Me Everything) et Jay-Z (99 problems).
Static, son premier film en 1986 a lancé sa carrière de réalisateur. Romanek s’est consacré ensuite à la pub et aux clips de telle sorte que lorsqu’il tourne Photo Obsession, on a tendance à y reconnaître, à tord, ses débuts au cinéma. Le film est sobre dans la forme et on reconnait peu de motif visuel en correspondance avec ses réalisations clipesques, preuve de l’intelligence d’un cinéaste qui sait s’adapter à son histoire et qui ne cherche pas à en mettre plein la vue. Si le film est solide est interessant, c’est d’abord parce qu’il est mené efficacement. Quant aux choix musicaux, il n’y en a pas. On veut dire par là qu’on pourrait attendre qu’un tel réalisateur, à l’instar de David Fincher par exemple, face coïncider son univers musical tel qu’on le connait par sa vidéographie, avec son travail de cinéaste. En l’occurence, Romanek a préféré s’appuyer sur une bande originale, composée pour l’occasion par Reinhold Heil et Johnny Klimek, et qui correpond parfaitement au film et à ses ambiguïtés.
Photo Obsession attire l’attention en premier lieu pour le rôle tenu par Robin Williams dans ce qui n’est, pour une fois, pas du tout une comédie. Williams incarne le personnage de Sy, un employé d’un laboratoire photo dans un centre commercial. Il est là depuis de très nombreuses années et il exerce son travail méticuleusement, jusqu’aux limites de l’absurde, puisqu’il s’agit d’un simple labo destiné aux particuliers qui souhaitent développer leurs clichés de famille en express, le temps de faire les courses. Dans chaque commerce quel qu’il soit, il y a les habitués. Sy s’est ainsi attaché à une famille, les Yorkin dont la mère Nina (Connie Nielsen), dépose régulièrement des pellicules à dévelloper. Elle ne s’en rend pas compte, mais elle ouvre ainsi une fenêtre sur sa vie privée, par laquelle Sy va s’infiltrer…
Sy est un vieux garçon solitaire, célibataire, sans famille, sans ami. Il cultive au comptoir de sa boutique un sourire affable et il n’a pas l’air d’être capable de faire mal même à une mouche. Il souffre cependant de sa solitude. Son vide existenciel, il le comble par une vie par procuration, une vie qu’il s’invente en se projetant dans certaines photos. Ainsi, sur un marché au puce, il dégote un vieux cliché d’une jeune femme qu’il présentera comme sa maman. Sy n’est pas méchant. Il ne rêve que d’être entouré par une famille.
Dans la première séquence, Sy est interrogé par la police. Le mal est déjà fait. Le film déroule les faits, comment il en est arrivé là. Sy éprouve une obession malsaine pour la famille de Nina. Il s’imagine en oncle de l’enfant dont il sait quelle est la date de son anniversaire. Ce que l’on découvre lorsqu’il rentre chez lui et qu’il allume la télévision, c’est que Sy a composé un mur entier qui regroupe les photos de cette famille, et qui reconstitue ainsi de façon parcellaire le journal de leur vie.
Sy a une attitude de psychopathe mais Mark Romanek ne fait pas le portrait d’un psychopathe. Sy est foncièrement en manque d’affection et c’est ce qui le conduit à se comporter de façon très malsaine. Son but n’est pourtant pas de faire du mal, mais au contraire de se trouver une place au sein de cette famille. Il s’imagine en oncle de l’enfant, lui offre un appareil photo pour son anniversaire, assiste à un de ses matchs de foot etc. Sy réussit même à s’inviter à l’intérieur du cercle familial, la première fois de manière symbolique, en se prenant en photo pour finir la pellicule de madame, en la développant ensuite, et en la restituant à la mère avec l’ensemble des autres photos. Il aurait très bien pu mettre ce cliché à l’écart, la jeter en coulisse, mais non, l’idée doit lui plaire d’avoir une petite place au milieu de toutes ces photos de cette famille.
La seconde fois que Sy pénètre l’intimité de cette famille – outre la tentative de nouer au magasin le dialogue avec un père (Michel Vartan) qui se moque éperdument de lui (normal, Sy n’est pas de la famille, et pas un ami non plus) – la manière est beaucoup plus inquiétante : il s’introduit dans la maison le temps d’une de leur absence, visite chacune des pièces, s’installe dans le canapé, prend ses aises, et s’attarde suffisamment longtemps pour qu’un rêve le surprenne. Dans ce rêve, les Yorkin rentrent, le trouvent dans le salon et sont heureux d’y reconnaitre… leur oncle préféré.
Les choses basculent quand Sy découvre la trahison du père. Il grignotte encore un peu plus de terrain sur l’espace privé de la famille en se mêlant de ce qui ne le regarde pas. Sy a ainsi infiltré progressivement cette famille de trois façons différentes : symboliquement (par la photo qu’il a laissé de lui), physiquement (en pénétrant la maison) et moralement (en voulant régler le problème qui se joue dans l’intimité du couple).
Avec cette histoire, Mark Romanek raconte comment l’on confie une partie de sa vie et de ses secrets à des personnes qui nous sont complètement étrangères, et qui à qui ont offre ainsi la possibilité d’exercer un pouvoir de nuisance potentiel. Nina Yorkin, dans le film, ne s’imagine pas une seconde qu’en donnant régulièrement ces photos à développer, elle a ouvert une trappe sur sa vie. Tout le monde n’adopte, fort heureusement, pas le comportement de Sy mais voilà, le fait est que Sy a le pouvoir de reconstituer le fil de l’existence de personnes qu’il ne connait pas et, de part sa conduite obsessionnelle et de part l’agitation de ses fantasmes, y parvient jusqu’à devenir terrifiant.
Le film est sorti en 2002, c’est à dire avant que le web 2.0 ne s’impose sur la toile et plus largement dans nos sociétés. Dès 5 ans après, et encore plus aujourd’hui, on peut s’interroger davantage sur le contrôle de notre vie privée. L’insouciance de Nina est sanctionnée dans Photo Obsession par ce qui s’avère une mauvaise rencontre. Le risque est démultiplié avec les réseaux sociaux. Considerez vos amis Facebook par exemple et posez-vous la question de qui voit ce que vous racontez. Imaginez ce que quelqu’un comme Sy pourrait puiser dans un profil généreux en informations strictement personnelles et s’en servirait à ses fins. Ce n’était pas le propos du film, mais quelques années plus tard il invite à cette réflexion, preuve que sous ses aspects désuets – puisqu’on est plus nombreux, à l’heure du tout numérique, à faire développer des pellicules – Photo Obsession conserve plus que jamais tout son sens.
Benoît Thevenin
Photo obsession
Sortie française le 18 septembre 2002