Le Nid familial (Családi tűzfészek) de Béla Tarr (1977)

Béla Tarr a 22 ans lorsqu’il réalise, motivé par la colère répète t’il volontiers aujourd’hui, son premier long-métrage, Le Nid Familial en 1977. Béla Tarr tourne ce film grâce au Studio Béla Balázs dont l’attention sur ce jeune cinéaste encore inexpérimenté a été nourrie par la vision de ses premiers essais. Depuis qu’il a 16 ans, Béla Tarr tourne en effet de petits films documentaires sur le milieu ouvrier.

Dès l’origine, Béla Tarr développe un intérêt pour les gens simples, ceux qui sont si facilement relégués à la marge parce qu’ils n’ont rien ou si peu. Pour Béla Tarr, ce qui compte, c’est de faire honneur à la dignité de ces personnes, montrer leur vie et en s’abstenant du moindre jugement moral. Béla Tarr filme la réalité telle qu’elle se présente devant ses yeux, même si avec Le Nid Familial, il s’essaie pour la première fois, directement, à la fiction.

Dans la séquence d’ouverture, Béla Tarr film une jeune femme se rendant à son travail à l’usine. La caméra recule à mesure que femme avance, créant ainsi l’idée d’une distance qui s’accentue inéxorablemment. Le personnage est une ouvrière travaillant dans une usine de charcuterie. Irén vit chez son beau-père alors que son mari est à l’armée. Lorsque celui-ci rentre de son service, le drame va s’installer progressivement. Le beau-père accuse Irén de n’avoir fait aucune économie alors qu’elle était logée gratuitement. Pire, il l’accuse d’avoir découché certaine nuit et d’avoir un amant. Irèn se défend en disant ce qui est la plus stricte vérité. Elle faisait des heures supplémentaires pour gagner un peu plus d’argent. Ce n’est pas sa faute si son salaire est si misérable.

Le beau-père symbolise probablement l’Etat communiste : omniprésent, qui surveille le moindre geste de chacun, qui se mêle de ce qui ne le regarde pas, qui se porte le garant d’une morale qu’il est le premier à bafouer. Il ne se gène pas pour tancer les moeurs de sa belle-fille d’une part, et de l’autre tenter d’attirer dans son lit, en parfait goujat, une femme qui a eu le malheur de s’assoir dans un bar à côté de lui.

Béla Tarr décrit le processus d’exclusion d’une femme victime d’un double système. Elle est à la fois victime du pouvoir des mâles, abjectes vis à vis de toutes les femmes (le mari modèle, à peine rentré de son service militaire, attaque avec son frère une jeune tzigane amie d’Irén et la viole en pleine rue), et victime d’un carence d’un Etat communiste qui fait la promotion d’un modèle mais affiche son impuissance à répondre à la demande d’Irèn. Pour Irèn, la seule façon de se libérer du joug de son beau-père tyrannique, c’est en trouvant un logement qui sera son nid familial, un cadre dans lequel elle peut vivre avec son mari et sa fille.

Par sa mise en scène, le cinéaste montre l’opposition des personnages (par sexe, par génération). Les premières séquences montrent une famille élargie et réunie autour de la table à manger. Peu à peu le cadre est de plus en plus serré sur les visages des personnages. Béla Tarr isole chacun, de telle sorte qu’ils ne dialoguent plus mais s’engagent dans de long monologues. La distance se creuse irrémédiablement et par sa seule réalisation, Béla Tarr figure la destruction de la cellule familial. Irén échoue à obtenir un logement et sans ce nid qu’elle convoite, il n’y a pas de possibilité pour elle d’avoir une vie familiale conforme au modèle recommandé par l’Etat communiste. Irén est reléguée à la marge.

Béla Tarr adopte un style réaliste qui évoque le cinéma de la nouvelle vague tchèque, les premiers film de Milos Forman par exemple. Le jeune cinéaste commence à imposer sa marque également. Il est pour l’instant dans un entre-deux. Son expérience documentaire se ressent en même temps qu’il fabrique du cinéma, de la mise en scène et de la fiction, mais une fiction mélangée à un esprit proprement documentaire. Les longs monologues en plan-séquence s’apparentent à des confessions face caméra et il capte vraiment quelque chose de l’ordre du réel. Son actrice n’est d’ailleurs pas une comédienne. Elle est une ouvrière que Béla Tarr a convaincu de jouer ce rôle. Ainsi il montre la vie telle qu’elle se déroule devant ses yeux, telle qu’elle est ressentie par les personnages et avec des personnes qu’il a extraites de la réalité. C’est ce qu’il annonce dès le carton en préambule du film : « C’est une histoire vraie. Elle n’est pas arrivée aux personnages de notre film, mais elle aurait pu leur arriver à eux aussi ». Aucune doute, un cinéaste est né. Il sait déjà vers ou il va, et nous, nous le suivrons jusqu’au bout.

Benoît Thevenin

Le Nid familial ****

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