Le nom de Bent Hamer, réalisateur de ce film, ne sonne pas très américain. Il est effectivement l’énième exemple du talent européen faisant valoir son savoir-faire outre atlantique.
Il y a deux ans, ce cinéaste norvégien nous offrait l’extraordinaire Kitchen Stories, son troisième film (le premier, Eggs était déjà une merveille). A découvrir, vraiment.
Quand est-il de Factotum ? Une plongée dans l’univers sordide de Charles Bukowki. ‘Plongée’ n’est pas un mot anodin. Qui connaît Bukowki sait que cet homme, cet écrivain si génial, est en quelque sorte l’archétype de l’alcoolique citadin. Bukowski, ces femmes, ces verres de scotch ou de Whisky, son errance quotidienne meublées de petits boulots… voilà ce qu’est Factotum.
Le personnage principal se nomme Hawk Chinaski. Personne n’est dupe, il s’agit bien de Charles. Impossible de s’y tromper d’ailleurs tant Matt Dillon incarne littéralement l’écrivain. Pas lourd, même gueule, même façon de tenir et tirer sur sa clope etc. La performance d’acteur est suffisamment bluffante pour être soulignée ET surlignée car, là c’est clair, il mérite qu’on en rajoute.
Vous pouvez dire, Lily Taylor et Marisa Tomei sont pas mal non plus. Oui c’est certain. Elles n’éclipsent pas pour autant Dillon et cela prouve par ailleurs l’extrême justesse de Bent Hamer dans, d’abord, sa direction d’acteur.
Il est temps d’insister un peu sur Kitchen Stories : une comédie grinçante et méticuleuse, héritière du cinéma de Jacques Tati. Un quotidien disséqué en profondeur duquel Hamer sortit une multitude de petits détails absurdes etc.
Dans Factotum, on retrouve cette même obsession pour le détail. Là encore surgit l’absurde même si le film ne revêt jamais, cette fois, les habits de la satire. Il faut plutôt prendre ça comme la bienveillance du regard du cinéaste sur le parcours sordide et désespérant d’un écrivain qui à rencontrer sa muse sur les comptoirs de bars. Une vraie sympathie se dégage. Chinaski est constamment bourré, toujours viré mais surtout fidèle à une conduite peut-être peu louable mais qui le façonne comme un être humain finalement essentiel. Peut-être fallait-il seulement pactiser avec le diable pour avoir accès à ce génie. Bukowski/Chinaski est le personnage central d’une œuvre qui trouve ses seuls décors auprès des piliers de bars.
Le regard de Hamer est précis. La mécanique est parfaite. Il arrive à se détourner du glauque. La vie de Chinaski nous est avant tout et peut-être seulement laborieuse. Voilà le parcours d’un homme inadapté à la réalité mais qui a si brillamment décrit la sienne.
En fait, Factotum n’est pas une plongée vertigineuse dans univers peuplés de démons. Il s’agit là avant tout d’une ascension. Elle est dure, oh que oui, mais il faut bien ça. Factotum est à mille lieux du Barfly de Barbet Schroeder ( a voir quand même !).
L’univers de Bukowski est tellement cinématographique qu’il n’a pas finit d’inspirer le cinéma. Hamer a largement transformé son essai, comme Schroeder, même si dans un autre registre donc.
« Let’s go to drunk ».