Almanach d’automne (Öszi almanach) de Béla Tarr (1984)

Almanach d’automne marque un tournant radical dans l’oeuvre de Béla Tarr. Le film est le dernier en couleurs qu’il aura réalisé. Pourtant, l’esthétisme du film à plus à voir avec ses films à venir en noir et blanc qu’avec se précédentes tentatives colorées. La couleur dans L’Outsider est utilisée pour accentuer l’entreprise réaliste du cinéaste. Dans Macbeth, son adaptation pour la télé hongroise de la pièce de Shakespeare, la couleur perd en naturel même si le cinéaste ne focalise pas sur l’esthétisation de ses plans pour autant. Avec Almanach d’automne, il va bien plus loin. Le cinéaste a pour la première fois une nouvelle ambition formelle. L’utilisation de la couleur relève là de l’abstrait.

Béla Tarr utilise principalement deux couleurs, le bleu et le rouge, avec des transformations en fonction de la progression dramaturgique. Le cinéaste compose chacun de ses plans en fonction de ses couleurs, par des contrastes forts qui écrasent toute perspectives à l’intérieur de la maison dans laquelle se situe toute l’action. Le film est en effet un complet huis-clos dans lequel cohabite une mère, son fils, son infirmière et le mari de cette dernière, mais aussi un professeur. La sensation d’étouffement est réelle, puissante même, d’une part parce que la caméra ne s’évade jamais de la sombre maison, d’autre part parce que les décors sont chargés, d’autant plus du fait de la couleur, mais aussi parce que le récit tout entier est fait de tensions, de rivalités et de luttes entre les personnages. Béla Tarr ne laisse aucun espace pour que les personnages ou les spectateurs puissent reprendre leur souffle.

Le cinéaste cite en épigraphe Les Possédés de Dostoïevski. Béla Tarr cherche en effet moins à décrire les relations entre les personnages, illustrer le déchirement entre une mère et son fils ou le déchirement d’un couple, qu’à sonder plutôt au plus profond les âmes de ses personnages. Béla Tarr est le premier a décrire son travail comme ontologique et cette ambition là est particulièrement perceptible dans (et à partir) d’Almanach d’automne. Le film est son dernier ou la caméra prend place au sein d’une famille. Dès Damnation, son film suivant en 1988, le cinéaste ne suivra plus que des personnages solitaires, isolés, marginaux et/ou errants.

Almanach d’automne fait ainsi la transition avec l’oeuvre à venir du cinéaste, tant des points de vue thématiques ou métaphysiques, qu’au niveau de l’ambition formelle. La caméra, portée dans ses premiers films, est soudain d’une grande lourdeur. On ressent tout le poids de la machinerie. Les plans(-séquences) sont de plus en plus élaborés, des longs-mouvements de caméra précisément chorégraphiés. Chaque plan est aussi composé selon des contrastes impressionnants, entre ombre et lumière artificielle (entre noir et blanc dans ses futurs films).

Ne serait-ce pour son esthétique, Almanach d’Automne mérite incontestablement une restauration qui réaffirmerait l’éclat des couleurs (avis aux éditeurs dvd !), d’autant que le film ne se réduit pas à ces partis-pris esthétiques, qu’il questionne et hante le spectateur durablement. Almanach d’automne est très simplement le premier véritable chef d’oeuvre de son auteur.

Benoît Thevenin

Almanach d’automne ****1/2

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