A l’invitation de la Paramount, Roman Polanski débarque en 1967 à Los Angeles et tourne son premier film hollywoodien. Rosemary’s baby est l’adaptation du livre de Ira Levin, auteur également de Ces garçons qui venaient du Brésil (adapté en 1977 par Franklin J. Shaffner), Sliver (adapté en 1993 par Philip Noyce) ou encore d’Un Bonheur insoutenable, véritable chef d’oeuvre SF.
Le roman de Levin fournit à Polanski les matériaux pour développer ses propres thématiques. Celle du couple est centrale, mais Rosemary’s Baby se voit surtout comme le pendant de Répulsion, sorti trois ans plus tôt.
Rosemary Woodhouse (Mia Farrow) et son mari Guy (John Cassavetes) forment un jeune couple emménageant dans un appartement d’une vieille résidence à Manhattan. L’immeuble a une sinistre réputation et la dernière occupante de ce logement, une très vieille dame apparemment folle, vient de mourir. Le couple hésite un peu mais est quand même séduit par le confort de l’appartement. Rosemary lie connaissance avec Terry, une voisine qui se suicide inexplicablement un peu plus tard. Le drame permet aux Woodhouse de se rapprocher des Castevet, un couple de personnes âgées chez qui vivait Terry. Ces derniers ne tardent pas à s’imposer dans le quotidien de Rosemary et Guy…
A l’instar de ses autres films jusqu’alors (et beaucoup d’autres après), l’histoire reste circonscrite à un espace clôt dont il est difficile pour les personnages de s’échapper, pour peu qu’ils essaient. Comme Carole, l’héroïne de Répulsion, Rosemary se renferme peu à peu sur ses obsessions, mais si Carole sombre clairement dans la folie, la situation de Rosemary est plus trouble. Roman Polanski construit un récit ambigüe ou les ingrédients du conte maléfique sont disséminés rapidement dans l’intrigue mais où les événement surnaturels interviennent tardivement et seulement par le biais des hallucinations – selon son point de vue à elle donc – de Rosemary’s. On n’est de fait même pas certain du fait que Rosemary est victime de cauchemars ou alors si elle expérimente réellement et malgré elle la sorcellerie.
Rosemary’s baby est à priori le récit névrotique d’une jeune femme enceinte qui sombre dans la paranoïa, se renferme sur elle-même car elle est persuadée que l’on complote contre elle et son bébé. Polanski ménage parfaitement le doute quant à la santé mentale de Rosemary. Il est aisé de partager le point de vue de son mari, le fait qu’elle angoisse à propos de sa maternité, qu’elle exagère et que tout se passe en fait normalement. Rosemary dévore littéralement de gros morceaux de steak à peine cuit, est perclue de douleurs au ventre, et affiche un visage de plus en plus pâle. Dès lors, ses angoisses naissent-elles parce qu’elle est insuffisamment préparée à porter un enfant en son ventre ? Sa paranoïa n’est elle qu’une conséquence de cette peur qui la dévore ?
Contrairement à Carole dans Répulsion, Rosemary ne fait pas que subir ce qui apparaît comme un dérèglement mental. Elle lutte, se met en quête de la vérité. Son attitude avant de tomber enceinte est celle d’une femme responsable, heureuse, apaisée et qui désir réellement un enfant. Cela coïncide mal avec son comportement une fois enceinte, où elle est semble, aux yeux des autres, perdue, irraisonnée, proche de la folie. Le spectateur, lui, voit que Rosemary continue d’agir avec rationalité mais le doute est quand même insinué. Les faits étranges se multiplient, la talisman protecteur que porte Rosemary semble plutôt attirer le mal, de curieuses incantations sont entendues à travers les murs, les potions préparées par la très intrusive voisine Mme Castevet la rendent malade plus qu’elles ne la soignent etc.
Polanski nous balance sans cesse d’un sentiment à l’autre, d’une part parce que les théories maléfiques se vérifient et d’autre part parce que finalement, tout ceci est seulement suggéré et peut être compris comme les propres projections d’une Rosemary qui perdrait tout repère avec la réalité.
Cette ambiguïté est maintenue jusqu’au bout, et le spectateur ne peut être certain de ce que Rosemary voit. L’enfant naît, est-il mort ou vivant ? Elle est persuadé qu’il est vivant. Quand elle s’approche du berceau, Polanski nous prive du contre-champ. Les convives autour du berceau racontent qu’elle a enfanté le fils du diable. Mais est-ce que ceci aussi elle l’imagine ? La seule image du bébé, si bébé il y a, est un plan furtif, en surimpression, ou l’on distingue d’affreux yeux jaunes, comme si cette image ne provenait que de l’imagination de Rosemary.
On ne saura pas ce qu’il adviendra de Rosemary. Polanski laisse ouverte la question de sa santé mentale. La seule certitude est que Rosemary restera prisonnière de son univers, aux mains d’une communauté sectaire, ou alors renfermée sur sa propre folie.
Intelligemment et très élégamment mis en scène, Rosemary’s Baby est un film d’épouvante chic qui s’est imposé rapidement comme un sommet du genre avec une angoisse ressentie par le spectateur seulement par la suggestion, sans aucun artifice dans la réalisation, effet spécial ou représentation directement démoniaque/surnaturelle.
Nommé pour l’Oscar de la meilleure adaptation en 1969, Roman Polanski repart bredouille. En revanche, Ruth Gordon (dans le rôle de Miss Castevet) remporte la statuette de la meilleure actrice dans un second rôle, aux dépens notamment de Lynn Carlin dans Faces… de John Cassavetes. Le succès du film lance lui la mode des films d’horreur satanistes des années 70, notamment L’Exorciste (William Friedkin, 1973) ou La Malédiction (Richard Donner, 1976).
Le 8 août 1969, un an après la sortie du film et quelques mois après les Oscars en avril, Sharon Tate, épouse du cinéaste alors enceinte de huit mois, et quatre amis du couple sont assassinés dans la villa des Polanski à Los Angeles. Le cinéaste se trouvait lui en Angleterre pour travailler sur un nouveau projet. Les rumeurs les plus cruelles circulent dans la presse – à scandale mais pas seulement – qui obligent Polanski à tenir une conférence de presse onze jours après le drame. Un commando de tueurs tous membres de la secte du tueur en série Charles Manson sera arrêté et jugé responsable de cette tuerie. Manson, qui n’était pas présent au moment des faits, sera lui condamné en temps que commanditaire. Il vit actuellement toujours, à la Prison d’État de Corcoran en Californie. De nombreux journalistes ont fait l’amalgame entre la tuerie à Los Angeles et la thématique sataniste de Rosemary’s Baby...
En dépression, Roman Polanski se réfugie dans le travail et part en Angleterre où il tournera son adaptation de MacBeth de William Shakespeare (1971).
Benoît Thevenin
Rosemary’s baby
Sortie française le 17 octobre 1968