Un peu moins de trois ans après l’adaptation suédoise par Niels Arden Oplev, David Fincher propose sa version des Hommes qui n’aimaient pas les femmes, d’après le best-seller de Stieg Larsson. De la part d’un cinéaste qui nourrit chacun de ses films de ses thématiques très personnelles, le choix peut paraître surprenant. Et en même temps, pour la même raison, on peut avoir toute confiance.
Fincher a certes réalisé Seven et Zodiac, deux films très différents où il est question aussi de tueurs en série. Ce n’est pourtant pas par le prisme de ce sujet là qu’il faut voir les choses.
Dans sa vision des Hommes qui n’aimaient pas les femmes, Fincher raconte d’abord l’histoire d’une rencontre, le rapprochement de deux solitudes. Après un impressionnant générique d’ouverture – sous fond de Immigrant Song de Led Zeppelin par Trent Reznor – qui prouve l’efficacité intacte et taillée au couteau du cinéaste, Fincher présente un héros mis au banc de la société.
Mikael Blomkvist (Daniel Craig), journaliste d’investigation du réputé journal Millenium, est désavoué par la justice après avoir révélé un scandale financier sans apporter finalement la preuve de ce qu’il avance. On l’a dupé, il en paie les conséquence, et va accepter une mise au vert loin de la capitale suédoise pour enquêter sur la mort très ancienne de la petite fille d’un puissant industriel. Mikael ne peut être plus isolé puisqu’il s’installe le temps de son enquête sur l’île ou vit seulement les membres d’une iconoclaste famille rongée par ses démons intérieurs, ses secrets enfouis, son passé nazi etc.
Le récit tentaculaire va progressivement rapprocher Mikael de la hacker Lisbeth Salander (Rooney Mara), une jeune femme mal dans sa peau, pupille de la nation et que la société par son système maintient à sa marge. Elle est une victime de la violence des hommes contre les femmes.
Du point de vue narratif, le film de Fincher est très proche du film suédois de 2009. On pourrait dès lors n’y voir qu’un simple remake boosté par la manière hollywoodienne. La mise en scène toujours très inspirée de Fincher, le rythme insufflé très soutenu, le charisme des acteurs, peuvent suffirent à une lecture simple et à un jeu comparatif. La différence entre les deux traitements ne tient pas que sur des critères esthétiques, ou sur une violence peut-être plus sensible chez Fincher. En revanche, les nuances éclairent quelque peu l’intrigue d’un jour nouveau.
L’impressionnante scène (en terme de découpage et par l’intensité qui s’en déploie) de l’agression dont se défend Lisbeth dans le métro est à ce titre essentielle. Dans le film suédois, Lisbeth est prise en traitre par une bande de jeunes. Elle se défend avec un tesson de bouteille et les repousse. Courte, la scène montre une Lisbeth encore en position de victime. C’est tous le contraire dans le film de Fincher. Le cinéaste met en scène une longue séquence ou Lisbeth se retrouve confrontée à un voleur qui lui arrache le sac contenant son très précieux ordinateur. S’engage une poursuite dans les couloirs souterrains où Lisbeth rattrape son agresseur et le terrasse littéralement pour récupérer son bien. La séquence montre ainsi une Lisbeth qui ne se complet pas dans sa position de victime, qui se défend et sait prendre le dessus.
C’est là que le film de Fincher trouve un intérêt nouveau, dans la caractérisation un peu différente des personnages. Fincher fait de Lisbeth, progressivement, son personnage principal, plus encore que dans le film de Niels Arden Oplev. C’est à elle que l’on s’attache, et c’est Rooney Mara, son incarnation, son personnage, qui impressionne et que l’on retient d’abord après la projection. L’intrigue dans les deux films aboutit à l’affirmation pleine et entière de la personnalité de Lisbeth. Elle conquiert son indépendance, avec force et courage. La dernière image chez Fincher la confronte pourtant à une solitude et un désenchantement qui n’est pas dans le film suédois mais qui porte en revanche la marque de Fincher. Ca pourrait n’être qu’anecdotique mais c’est ce qui fait que le film trouve une place tout à fait naturelle dans sa filmographie.
Benoît Thevenin
Millenium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes
Sortie française le 18 janvier 2012