Sur bien des points, J. Edgar est un film passionnant. Selon le degré de tolérance de chacun au mélo, le nouveau métrage de Clint Eastwood peut aussi être assez énervant.
Le film est passionnant déjà parce que le personnage de Hoover l’est. Le fondateur du FBI a été l’un des hommes les plus puissants de la démocratie américaine. Il a traversé les décennies, vu défiler les présidents à la Maison Blanche, et a assisté aux premières loges aux grandes mutations de la société de son pays.
Ces dernières années, Eastwood a alterné les grandes fresques historiques (Mémoire de nos pères, Lettres d’Iwo Jima, Invictus) et les drames intimes (Million Dollar Baby, L’Echange, Gran Torino, Au-Delà), avec toujours, de façon plus ou moins appuyée, un recours au mélo devenu au fil des années emblématique de son oeuvre de cinéaste. J. Edgar cumule les deux aspects. Le film est autant le portrait d’un homme puissant et solide dans ses fonctions, mais puissamment fragile dans son intimité, qu’une page de l’Histoire des Etats-Unis hantée par différents fantômes. Ces spectres sont ceux des différents présidents que Hoover à su mettre à sa botte pour mieux garantir ses intérêts et la pérénité de l’institution qu’il a fondé (de F.D. Roosevelt à R. Nixon). Il sont aussi des figures politiques (Martin Luther King), du crime (John Dillinger entre autres), ou bien les mythes (Hollywood, Charles Lindbergh). En se plongeant dans les méandres d’une Histoire sociale des Etats-Unis par le prisme de la lutte contre le crime, Eastwood évoque aussi bien la face sombre du rêve américain que celle fantasmagorique.
Avec Hoover, sa rigueur obsessionnelle, les origines de la création du FBI, Eastwood projète également des idées très actuelles et qui font débat. Hoover est le papa du fichage, un thème redevenu très à la mode, des deux côtés de l’Atlantique d’ailleurs, d’abord en conséquence des attentats du 11 septembre 2001, mais aussi du fait de l’avènement d’Internet. Eastwood ne fait donc pas que retourner sur le passé de la nation US, il livre aussi un discours moderne ou qui, au minimum, a une réelle raisonnance avec le monde actuel.
Clairement, par tous ces aspects, J. Edgar est un film riche et passionnant, en plus porté par un très grand Leonardo DiCaprio. Du point de vue de sa seule mise en scène, Eastwood se montre lui aussi très à l’aise, conservant le style sobre et épuré qui lui convient si bien. Le cinéaste manie toujours aussi élégamment les jeux de lumières, notamment les clairs-obscurs qui font toute la richesse de plans souvent magnifiques.
Le film est en revanche nettement moins convaincant pour ce qui est du portrait intime de J. Edgar Hoover. On reconnait cependant volontiers que c’est là un sentiment très personnel, que face au mélo pur et dur, chaque spectateur a sa propre tolérance.
Comme dans ses précédents films, Eastwood cherche à émouvoir, c’est très net, et nombreux seront encore les spectateurs à sortir leur mouchoir. Hoover est présenté comme un homme profondément attaché à sa mère. Elle est la seule a exercer une influence réelle sur lui tant il ne veut en aucun cas la décevoir. Hoover place le travail avant toute autre préoccupation. Il est dans une logique de réussite et d’excellence mais il est montré aussi comme un homme dévoré par ses démons, par ses pulsions qu’il réprime pour ne jamais décevoir sa génitrice. La psychologie du personnage est plutôt bien décrite par Eastwood, notamment via cette très belle relation qui lie Hoover à sa secrétaire (Naomi Watts), et on mesure la complexité de ce qui le ronge.
En revanche, à mesure que le film progresse, Eastwood à tendance a appuyer toujours ses intentions, comme s’il cherchait l’émotion à tout prix, sans craindre le sentimentalisme le plus pénible. La dernière demi-heure est à ce titre dès plus éprouvante, avec des acteurs grimés jusqu’à la caricature et une émotion lourde, chargée de pathos et qui va à l’encontre de toute subtilité. La séquence où Hoover se travesti marque un tournant dans le film. Il y a une chance de très bien supporter la suite si on ne la trouve pas grotesque et risible. Sinon, la longue conclusion risque bien de gâcher un film pourtant riche de qualités.
Benoît Thevenin
J. Edgar
Sortie française le 11 janvier 2012