Et si Shakespeare n’était en fait qu’un imposteur ? On se souvient d’une fable équivalente racontée sans besoin de grands moyens par Safy Nebbou (L’Autre Dumas, 2009), ce qui permet de relativiser l’idée selon laquelle Anonymous est une oeuvre modeste. Comparé aux films catastrophes qui constituent l’essentiel de la filmographie de Roland Emmerich, Anonymous nous ferait presque croire que la crise économique affecte aussi le cinéaste allemand, obligé de s’en remettre à des budgets plus serrés. Le film ne lui ressemble en tout cas pas beaucoup, à tel point que l’on pourrait très bien imaginer, si Shakespeare n’a pas écris lui-même Roméo et Juliette, qu’Emmerich n’est pas plus le faiseur derrière Anonymous.
Le film constitue ainsi une curiosité, autant que son sujet. Emmerich n’ayant jamais été un provocateur, il prend ses précautions et introduit son histoire par un conteur (Derek Jacobi) sur scène à Broadway aujourd’hui qui se propose d’évoquer l’incroyable théorie. C’est une façon pour le cinéaste de prendre ses distances avec la polémique et de s’en prémunir.
Anonymous est un film complexe, avec plusieurs niveaux d’intrigue et un mélange de deux époques, qui rendent finalement l’histoire un peu confuse. On met parfois un peu de temps à s’y retrouver, à identifier quel personnage adulte correspond à quel personnage enfant, mais le récit retombe heureusement toujours sur ses pieds. Mieux, malgré des faits souvent improbables, Emmerich parvient à préserver toujours assez de crédibilité pour emporter l’adhésion des spectateurs à son histoire et à ses personnages. L’incarnation des acteurs n’y est pas pour rien. L’interprétation solide d’un Rhys Ifans métamorphosé (dès lors que l’on garde en tête son personnage dans Notting Hill) est un bon exemple. Quant à Joely Richardson (fille de Vanessa Redgrave qui joue le personnage dans ses veilles années), elle est une Reine Elizabeth très éloignée de la vision que l’on a pu se forger via les deux films avec Cate Blanchett. On peine à la voir en Reine manipulatrice et grande prétresse de la guerre, mais elle est convainquante en femme soumise à ses desirs qui la fragilise.
Sombre et violent – parfois – Anonymous tranche assez nettement avec les autres films d’Emmerich. Le cinéaste est-il en quête de respectabilité ? Il livre en tout cas un film soigné, spectaculaire, intense même, qui sur le papier laissait présager du pire, mais qui au final s’avère tenir très bien la route. S’il prête ses savoir-faire technique et narratif à d’autres projets de cette envergure, ou bien plus modeste encore mais bien ficelés, qui sait… Il n’est jamais trop tard pour bien faire alors souhaitons qu’Anonymous ne soit pas qu’une parenthèse dans son parcours.
Benoît Thevenin
Anonymous
Sortie française le 4 janvier 2012