L’Odeur de la papaye verte (Mùi đu đủ xanh) de Tran Anh Hung (1993)

Dans un quartier de Saïgon en 1950, Mùi, une petite fille paysanne de dix ans arrive une nuit pour entrer au service d’une riche famille de la ville. Ti, une vieille servante qui officie déjà pour eux, lui inculque les gestes et l’attitude que requiert cette nouvelle condition.

Tran Anh Hung filme le Vietnam de son enfance à travers cette évocation du quotidien des femmes – servantes et maîtresses – dans le Vietnam des années 50. Le film décrit des rapports de servitudes, pas seulement l’employé vis à vis de ses patrons, mais plus généralement les femmes par rapports aux hommes. Le cinéaste montre un Vietnam traditionnel, où la servitude est certes subie mais est surtout un chemin tracé dès l’enfance dans la vie des femmes.

La papaye verte du titre suggère très exactement ces rapports de domination. La papaye est un fruit mais est reléguée parmi les légumes dans le potager car considérée comme un légume. Préparée par la femme,  elle est servie comme plat à l’homme.

Le cinéaste s’attache au moindre geste, aux plus petits éléments qui font le quotidiens de ses femmes soumises naturellement à leurs hommes. Le film est conçu de cette manière, par une succession de petites touches très délicates, très sensibles, et où chaque détail à son importance.

La mise en scène, très élégante et douce, faites de travellings lateraux et de panoromiques subtiles, s’accordent avec le propos. La caméra reste continuellement discrète, comme cachée de l’action qu’elle filme. Les mouvements de caméra s’opèrent toujours avec des objets en amorce, qui donne cette impression d’une certaine pudeur, comme la servante qui attend que le maître quitte la pièce pour entrer et ranger derrière lui.

Le film est composé en deux parties. Dans la seconde, dix ans plus tard, Mùi est une jeune femme de 20 ans (interprétée par Tran Nu Yên-Khê, l’épouse du réalisateur). L’espièglerie du personnage enfant laisse place à une autre forme de douceur, celle sentimentale et sensuelle. Mùi devient objet de désir. L’amour dans L’Odeur de la papaye verte n’est cependant pas un enjeu, ni une finalité. Tran Anh Hung montre que le sentiment est traitre, qu’il est source de frustration. La sensation d’épanouissement par le biais de l’amour est fausse puisque le couple signifie à la femme un nouvel emprisonnement. La femme n’est là jamais à la même hauteur que l’homme.

Ne serait-ce que par son titre, ce film invite a éveiller chacun de nos sens. Par son attention aux plus petits détails, Tran Anh Hung y parvient. Le chants des grillons, l’odeur de la papaye, cette impression de toucher les éléments sur lesquels le cinéaste attardent son regard, tout cet environnement sensitif semble accessible au spectateur. On respire littéralement l’ambiance de ce Vietnam des années 50’s, ce quartier calme et serein, à l’écart des bombes qui tombent plus loin et qui ne sont que suggérés, le temps d’une simple transition, par les sons de quelques moteurs d’avions survolant Saïgon.

Ce parfum d’authenticité, on le ressent vraiment, alors même que Tran Anh Hung a tourné son film intégralement en studio dans la région parisienne, à Bry-sur-marne plus précisément, et avec des comédiens amateurs casté en France. Cette reconstitution sur mesure offre sans doute une grande liberté au cinéaste pour faire circuler la caméra, d’où cette précision et cette élégance de chaque plan, de chaque séquence.

Pour son premier long-métrage, Tran Anh Hung réussit une entrée remarquée. L’Odeur de la papaye verte obtient la Caméra d’or à Cannes en 1993. Le film reçoit également l’année suivante le César de la première oeuvre et est nommé aux Oscars pour la statuette du meilleur film étranger. Des attentions méritées.

Benoît Thevenin

L’Odeur de la papaye verte ****

Sortie française le 8 juin 1993

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