L’actrice est chanteuse Whitney Houston est décédée samedi 11 février à l’âge de 48 ans, selon une dépêche de l’agence Reuters. Au cinéma, elle a été la co-star, avec Kevin Costner de Bodyguard, navet romantique mais succès planétaire réalisé par Mick Jackson en 1992. Bodyguard raconte la romance entre un garde du corps et la chanteuse-actrice qu’il est chargé de protéger. La bande-originale du film contient notamment I Will always love you – reprise de la chanson de Dolly Parton – qui restera son plus grand tube.
Whitney Houston partage aussi avec Angela Bassett l’affiche de Où sont les hommes ? (Forest Whitaker, 1995), et joue aux côtés de Denzel Washington dans La Femme du Pasteur de Penny Marshall (1997). Whitney Houston devait faire son retour sur grand écran à l’occasion de la sortie de Sparkle, long-métrage de Salim Akil actuellement en post-production.
Celle que Serge Gainsbourg voulait « baiser » sur le plateau de Michel Drucker, aura été une des icônes des années 80. Elle n’a pas seulement inspiré les artistes R&B qui lui ont succédé en tête des charts (de Mariah Carey à Rihanna), mais aussi la littérature, comme en témoigne cette longue digression musicale de Patrick Bateman dans American Psycho de Bret Easton Ellis. Un très bel hommage qu’on vous livre in extenso…
Whitney Houston (par Breat Easton Ellis, American Psycho, 1991)
« C’est en 1985 que Whitney Houston a fait une apparition fracassante dans le paysage musical, avec l’album qui porte son nom, lequel comportait quatre titres premiers au hit-parade, dont The Greatest Love of All, You Give Good Love et Saving All My Love for You, et devait en outre remporter le Grammy Award de la meilleure performance vocale féminine pour les variétés, ainsi que deux American Music Awards, celui du meilleur album de Rythm and Blues, et celui de la meilleure vidéo de Rythm and Blues. De plus, les magazines Billboard et Rolling Stone la sacraient meilleure nouvelle chanteuse de l’année. Avec un tel battage publicitaire autour de cet album, on est en droit de s’attendre à le trouver décevant et terne mais Whitney Houston (Arista) se révèle un disque de Rythm and Blues étonnamment plein de chaleur, de finesse, somme toute un des plus satisfaisants de la décennie. Quant à la voix de Whitney, elle défie l’imagination. Il suffit de voir la photo de couverture (robe Giovanne De Maura) et celle, assez sexy, qui lui répond au verso (maillot de bain Norma Kamali) pour deviner que ce n’est pas là l’habituel filet d’eau tiède du professionnalisme ; certes, la musique est fluide, mais c’est un fluide intense, et la voix de Whitney se joue si bien des limites, avec une telle capacité d’adaptation (encore que Whitney demeure essentiellement une chanteuse de jazz), qu’il est difficile de s’imprégner de l’album à la première audition. Mais là n’est pas le but. C’est un disque à déguster, encore et encore.
Les deux premiers morceaux, You Give Good Love et Thinkng About You, tous deux réalisés et arrangés par Kashif, bénéficient d’un arrangement jazzy, chaud et luxuriant, mais avec une rythmique contemporaine au synthé ; ce sont là deux très bonnes chansons, mais l’album ne décolle vraiment qu’avec Someone for Me, réalisé par Germaine Jackson, que Whitney chante avec mélancolie sur un rythme disco-jazz très enlevé, créant ainsi un décalage extrêmement émouvant Saving All My Love for You est la ballade la plus sexy, la plus romantique de l’album. Elle bénéficie d’un fantastique solo de saxophone par Tom Scott, et l’influence des groupes vocaux féminins des années soixante y est perceptible (elle a été coécrite par Gerry Goffin), bien que ceux-ci n’aient jamais atteint un tel degré d’émotion ou de séduction (ni une telle qualité de son). Nobody Loves Me Like You Do, un fantastique duo avec Germaine Jackson (qui l’a également réalisé) n’est qu’un exemple de la qualité des chansons de cet album. La dernière chose dont il souffre est bien le manque de textes valables, ce qui arrive généralement quand une chanteuse n’écrit pas ses propres chansons et doit laisser son producteur les choisir pour elle. Mais Whitney et ses amis ont été heureusement inspirés.
How Will I Know, à mon sens le meilleur morceau de danse des années quatre-vingt, évoque avec allégresse les tourments d’une fille qui ne sait pas si un garçon s’intéresse ou non à elle. Le riff au clavier est superbe, et c’est le seul titre de l’album qui soit réalisé par Narada Michael Walden, l’enfant prodige. La ballade que je préfère, personnellement (mis à part The Greatest Love of All, qui demeure au-dessus de tout), est All at Once, l’histoire d’une femme qui s’aperçoit soudain que son amant s’éloigne d’elle. L’arrangement des cordes y est magnifique. Rien dans l’album ne semble être du remplissage, à part, peut-être, Take Good Care of My Heart, un autre duo avec Germaine Jackson, qui s’éloigne des racines jazzy de l’album, et paraît trop influencé par la dance music des années quatre-vingt.
Cependant, nous retrouvons le talent de Whitney, plus grand que jamais, dans l’extraordinaire The Greatest Love of All, une des plus fortes, des meilleures chansons jamais écrites sur la dignité et le respect de soi-même. De la première à la dernière ligne (dues à Michael Masser et Linda Creed), c’est une ballade qui parle, de façon mugistrale, de la foi en soi-même. C’est là une proclamation pleine d’intensité, que Whitney chante avec une noblesse qui confine au sublime. Son message universel dépasse toutes les frontières, pour instiller chez l’auditeur l’espoir qu’il n’est pas trop tard pour s’améliorer, pour être plus humain. Puisque, dans ce monde, il nous est impossible de nous ouvrir aux autres, nous pouvons toujours nous ouvrir à nous-même. C’est là un message important, essentiel en vérité, que ce disque nous transmet superbement.
Son deuxième album, Whitney (Arista, 1987) comportait quatre chansons classées en tête des hit-parades, / Wanna Dance with Somebody, So Emotional, Didn ‘t We Almost Have It All ?, et Where do Broken Hearts Go ? Il est essentiellement réalisé par Narada Michael Walden et, sans être de la qualité de Whitney Houston, il ne souffre aucunement de la fameuse baisse de régime des secondes œuvres. Il s’ouvre sur I Wanna Dance with Somebody (Who Loves Me), un morceau enlevé, dansant, dans la même veine que l’irrésistible How Will I Know de l’album précédent. Suit le sensuel Just the Lonely Talking Again, où apparaît la forte influence jazz qui imprégnait le premier album, et où l’auditeur peut déceler une nouvelle maturité dans l’interprétation de Whitney — qui a réalisé tous les arrangements vocaux de l’album. C’est très évident sur Love Will Save the Day, la chanson la plus ambitieuse que Whitney ait chantée jusqu’alors. Le producteur en est Jellybean Benitez. C’est un morceau rapide, énergique et, comme la plupart des chansons de l’album, il évoque, de manière adulte, la conscience de ce monde dans lequel nous vivons. Elle le chante, et nous sommes convaincus. Nous voilà loin de l’image tendre de petite fille perdue, si séduisante sur son premier album.
Sa maturité est plus évidente encore avec Didn ‘t We Almost Have It All, produite par Michael Masser, qui évoque une rencontre avec un ex-amant, et les sentiments qu’inspire à présent cette histoire ancienne. Whitney nous en offre une interprétation suprêmement poétique. Comme la plupart des ballades, elle bénéficie d’un somptueux arrangement de cordes. So Emotional est dans le même esprit que How Will I Know et / Wanna Dance with Somebody, mais dans une veine encore plus rock soutenue, comme tous les titres de Whitney, par une fantastique rythmique de studio, avec Narada à la boîte à rythme, Walter Afanasieff au synthétiseur et à la basse-synthé, Corrado Rustici à la guitare-synthé, et un certain Bongo Bob à la boîte à perçus et au mixage batterie. Where You Are est la seule chanson de l’album réalisée par Kashif, et elle porte l’empreinte indélébile de son professionnalisme — un son luxueux, doux et éclatant à la fois, et un fameux solo de sax par Vincent Henry. Pour moi, c’était là un tube en soi (mais n’est-ce pas le cas de tous les titres de l’album ?), et je me demande pourquoi il n’est pas sorti séparément.
Mais la vraie surprise de l’album demeure Love Is a Contact Sport — un morceau puissant, audacieux, sexy qui, sur le plan de la réalisation, constitue le noyau de l’album, avec des paroles excellentes et une rythmique de qualité. C’est l’un de mes préférés. Sur You’re Still My Man, on s’aperçoit à quel point la voix de Whitney est proche de l’instrument — un instrument parfait, chaud, qui ferait presque oublier la musique en soi, si les paroles et les mélodies n’avaient une singularité, une force qui empêchent une chanteuse, même de la qualité de Whitney, de les occulter. For the Love of You met en valeur le talent remarquable de Narada à la boîte à rythme, et son ambiance jazzy, très contemporaine, évoque non seulement les tenants du jazz moderne que sont par exemple Michael Jackson et Sade, mais aussi d’autres musiciens, tels Miles Davis, Paul Butterfield, ou Bobby McFerrin.
Where Do Broken Hearts Go ? est le morceau le plus puissant de l’album, évoquant l’innocence perdue et le désir de retrouver la sécurité de l’enfance. La voix de Whitney est plus jolie, plus maîtrisée que jamais. Nous arrivons enfin à I Know Him so Well, le moment le plus émouvant du disque, car il s’agit, avant toute autre chose, d’un duo avec sa mère, Cissy. C’est une ballade qui évoque le souvenir d’un homme (Un amant partagé ? Un père depuis longtemps disparu ?) avec un mélange de désir, de regret, de force et de beauté qui conclut l’album sur une note délicate et parfaite. Nous attendons encore beaucoup de choses de Whitney (elle a fait une apparition bouleversante aux J.O. 1988, nous offrant un magnifique One Moment In Time), mais même si ce n’était pas le cas, elle demeurerait néanmoins l’une des voix noires les plus passionnantes et les plus originales de sa génération. »
Traduit de l’américain par Alain Defossé, (Editions du seuil)