Dance Town (Daenseutawoon) de Jeon Kyu-hwan (2011)

Présenté initialement dans la section Panorama du festival de Berlin en 2011, Dance Town est le troisième volet d’une trilogie urbaine par laquelle le cinéaste Jeon Kyu-hwan s’attache à décrire le mal être et la solitude de ses personnages dans la grande ville. Ici, c’est la trajectoire d’une immigrée nord-coréenne qui l’intéresse en premier lieu.

Le film commence à l’intérieur d’un appartement à Pyongyang, la capitale de la Corée du Nord. Il y a d’emblée un contraste : des tableaux représentants le leader Kim Jong-il sont accrochés aux murs et s’opposent à la musique pop qui raisonne. Jung Nim et Man-il sont un couple d’âge mur. Man-il, pour le compte de son travail, fait des aller-retours entre la Chine et la Corée du Nord, et profite de ces voyages pour faire de la contrebande, de films pornographiques notamment. Un jour il est arrêté à la frontière après avoir été dénoncé. Il a eu le temps de prévenir son épouse pour qu’elle rejoigne immédiatement la frontière avec la Corée du Sud. Jung Nim est bientôt citoyenne sud-coréene. Elle bénéficie de l’accompagnement d’une bénévole, mais Jung Nim, séparée de son mari, se retrouve surtout seule, dans une ville qu’elle ne connait pas, où elle n’a aucun repère et ne connait personne…

Comme dans ses autres films, Jeon Kyu-hwan adopte une mise en scène crue, au plus près de ses personnages, avec une lumière naturaliste etc. Cela donne une impression froide, sinon glacée. Jung Nim n’est pas le seul personnage à errer. D’autres gravitent autour d’elle, des hommes, qui tous sont en perdition. Le récit est moins vertigineux que dans Animal Town mais Dance Town n’en demeure pas moins un film dur, cruel et même brutal.

Le cinéaste raconte la souffrance ordinaire de personnes confrontées, pour différentes raisons, à une solitude difficile à supporter. On est parfois proche d’un certain misérabilisme (tentative de suicide et quasi viol). Le sexe chez Jeon Kyu-hwan, dans tous ses films, est consommé sans amour ni passion et renvoie toujours à l’inextricable solitude des protagonistes.

Le film n’a pas de visée politique mais Jeon Kyun-hwan dessine un portrait social de la Corée du sud. Le cinéaste tend une sorte de miroir pour montrer une réalité sociale finalement pas tellement différente par rapport à Pyongyang. L’appartement proposée à Jung Nim par les services sociaux sud-coréens est sensiblement le même que celui du couple dans la capitale nordiste. Jung Nim va d’ailleurs confier qu’elle imaginait une vie radicalement différente au Sud, se basant sur les DVD qu’elle a clandestinement pu voir. On lui répond que pour voir cette réalité là, il faut être au sommet de la pyramide sociale. Cela dit, une grande différence demeure entre les deux Corées : l’une est soumise à une dictature qui n’a aucune compassion pour la nature humaine, qui assassine sans ménagement ; l’autre propose une société soucieuse du bien être de ceux qui vivent sur son sol. Jung Nim bénéficie d’un accompagnement offert par le gouvernement mais la Corée du sud recèle également de nombreux pièges, comme celui des missionnaires évangélistes qui profitent de la misère sociale des nouveaux arrivants pour mieux réussir à les embrigader.

Jeon Kyu-hwan livre un film encore une fois éprouvant, moins saisissant qu’Animal Town, mais quand même impressionnant et dur. On ne sort pas tout à fait indemne du film. Une trilogie n’était finalement pas de trop pour montrer la complexité d’une société sud-coréenne qui a tendance à broyer les individus et surtout les plus faibles. Jeon Kyu-hwan n’est pas tendre avec ses compatriotes, et pas très optimiste tant le drame et les larmes prennent toute la place. Il n’y a pas vraiment d’espace pour l’espoir et la lumière, et c’est sans doute la seule chose qu’on peut lui reprocher, de flirter un peu trop avec les frontières du misérabilisme. De si près que cela peut rebuter, on ne le cache pas, comme on ne dissimulera pas non plus que son cinéma nous passionne.

Benoît Thevenin

Dance Town ***1/2

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