Le Temps dure longtemps (Gelecek Uzun Sürer) de Özcan Alper (2011)

On sait la question sensible mais n’en déplaise aux autorités politique turques, la vérité historique a été établie. De 1915 à 1917, le pouvoir en Turquie procédait à un génocide qui coûta la vie à plus de un million d’arméniens. Les élégies chantées dans les provinces sont autant de témoignages de ce traumatisme dont les conséquences se mesurent jusqu’à aujourd’hui avec la question kurde, toujours pas résolue. Özcan Alper, pour son second long-métrage après Automne (dans lequel il s’intéressait aux prisonniers politiques enfermés dans les geôles turques) établit un lien entre ces différents traumatismes des populations en Turquie.

Symbole d’une liberté entravée, un cheval au galop sur une plaine ouverte et largement étendue s’effondre sous des balles invisibles. Cette séquence, qui introduit le film, est impressionnante, révoltante même, possiblement écoeurante aussi. Le calvaire de ce cheval renvoie aux souffrances endurées par les peuples martyrisés. Si la séquence a un écho à la fin du fin, Özcan Alper n’insistera pas plus dans la représentation symbolique. L’une des scènes suivantes nous introduit dans un train où une jeune femme se retrouve au milieux de jeunes hommes entonnants de très bon coeur un chant révolutionnaire chilien.

La jeune femme s’appelle Sumru. Elle est une étudiante en ethnologie débarquant dans la ville kurde de Diyarbakir pour ses recherches. Elle collecte des élégies anatoliennes et les histoires douloureuses qu’elles racontent. Sumru rencontre Ahmet, un vendeur de DVD pirates qui est aussi le réalisateur d’un documentaire. Il est sous le charme de Sumru et accepte de l’accompagner dans son travail. Sumru est elle hantée par le souvenir de son amour pour Harun, un kurde dont elle est séparée depuis quelques mois et dont elle n’a plus aucune nouvelle…

Le titre français du film s’écarte un petit peu de celui original, littéralement « le futur dure éternellement ». Le titre d’exploitation français fait immanquablement penser à la fameuse chanson de Nino Ferrer, Le Sud « le temps dure longtemps / et la vie sûrement / plus d’un million d’années / et toujours en été ». La connexion n’est sans doute pas hasardeuse. Plus loin dans la chanson : « Un jour ou l’autre, il faudra qu’il y ait la guerre / On le sait bien / On n’aime pas ça, mais on ne sait pas quoi faire / On dit c’est le destin / Tant pis pour le Sud / C’était pourtant bien (…) ». Y’a t’il une fatalité à se faire la guerre en Anatolie ? Non, pas plus qu’ailleurs, pas même là où les tensions semblent éternelles. Ces tensions en Turquie ne sont pas apaisées à l’heure actuelle. La situation se durcit même sous la pression militaire dans la partie kurde du pays. Il y a donc cette idée qui traverse le film que les drames perdurent, que les plaies sont profondes et à vif.

Sumru déambule dans les rues et sur les toits de Diyarbakir, « armée » de sa bonnette et à l’affut de sons à capter. Il s’agit de sauvegarder une mémoire qui avec le temps, se dilue dans une Histoire plus vaste, avec des souffrances qui se succèdent – comme la neige se dépose sur les sols et recouvre par exemple les stèles des morts – et des langues qui disparaissent, à cause des guerres et des politiques d’assimilation. Özcan Alper, en accompagnant Sumru, réalise le même travail de mémoire, capte des élégies et les intègre à un récit entre fiction et documentaire.

Cela constitue principalement la première partie du film. Ensuite, Sumru est de plus en plus confrontée à sa propre douleur. Les chants arméniens trouvent un échos dans son être. Elle est inquiète du sort de son amoureux, elle souffre intérieurement, se replie sur elle-même.

Le silence et la stagnation du récit dans cette deuxième partie n’est absolument pas un problème. Le temps dure longtemps est moins un film qui raconte une histoire, qu’un film qui sauvegarde l’Histoire, qui rend hommage de façon égale aux souffrances des peuples persécutés, et qui offre à réfléchir et interroge. Sumru est un personnage magnifique, émouvant pour le spectateur, mais qui touche aussi le personnage d’Ahmet, manifestement conquis par son charme discret et inaccessible. La relation entre les deux est traité avec beaucoup de simplicité et de délicatesse. Özcan Alper n’est pas du genre à duper le spectateur en construisant un récit artificiel. Au contraire, la relation entre les deux enrichit le personnage de Sumru, permet de mesurer davantage la fidélité de son sentiment amoureux. De l’amour, il y en a donc dans ce film, il en est remplis même, il guide tout le récit et lui confère sa force.

Le temps dure longtemps est un film magnifique, bouleversant, et réalisé par un cinéaste à la sensibilité très affirmée dont le sens du cinéma est manifeste. Özcan Alper a réussit un grand film car le contenu, émotionnellement très fort, s’accorde avec une mise en scène ambitieuse, toujours dans une juste distance, et formellement impressionnante. La Turquie est un pays certes meurtris – comme en témoignent les rues chargées d’Histoire de Diyarbakir dans lesquelles Sumru déambule – mais aux décors somptueux. La dernière séquence, dans les montagnes sous la neige, est sublime d’émotion et de poésie, avec une Sumru désormais en possession des réponses aux questions qu’elle se posait et qui va devoir continuer son chemin, car elle est jeune, il faut vivre, et le future dure longtemps.

Benoît Thevenin

Le Temps dure longtemps ****

Sortie dans les salles françaises le 18 avril 2012

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Un commentaire sur “Le Temps dure longtemps (Gelecek Uzun Sürer) de Özcan Alper (2011)”

  1. FredMJG dit :

    Délicat et sensible, certes. Nous sommes donc au diapason.

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