« The Artist » a tout raflé… Tout ? Non, le César du meilleur acteur échappe à Jean Dujardin, lequel a déjà été largement récompensé ailleurs et peut espérer l’être encore dès dimanche aux Oscars. Omar Sy s’accapare le trophée en question et permet à « Intouchables » de ne pas repartir bredouille… « L’Exercice de l’Etat » est le 2e grand vainqueur de la soirée (3 statuettes), et « La Guerre est déclarée », le grand oublié.
On le dit, on le répète, Les César, Oscars et tous leurs avatars, ne mettent en évidence qu’un compromis entre succès populaire et succès d’estime. Exit, le plus souvent, les colosses du box office qui ne présentent aucune qualité artistique, même si Danny boude. Exit aussi, les films trop singuliers, qui on pu séduire et même marquer. Dans le genre cette année, Donoma est un bien bel exemple, et on peut regretter que les César ne fasse pas de place à un film comme celui là, vecteur de tant de promesses pour le cinéma français du XXIè siècle. Au milieu d’Angèle et Tony et La Délicatesse, il n’y avait vraiment pas de place pour le film de Djinn Carrénard ?
Les absents on toujours tord. Tant pis pour Un Amour de jeunesse et pour Tomboy, par exemple. En revanche, à la lumière des films nommés cette année, on peut quand même se réjouir, 2011 a été un excellent cru pour le cinéma français (2009 et 2010 aussi du reste…). Le niveau moyen des 7 films cités pour le César du meilleur film est bien plus élevé à notre sens que celui général des métrages mis en exergue dans la même catégorie pour les Oscars de dimanche. Et les candidats affichent une belle diversité, quand bien même il y a un dénominateur commun : le festival de Cannes est encore une fois le grand pourvoyeur des « films à récompenses ». Exception faite d’Intouchables et ses presque 20 millions de spectateurs, 6/7 des candidats en lice pour le César du meilleur film ont été d’abord découverts sur la Croisette, en compétition ou dans les sections parallèles (L’Exercice de l’Etat à Un Certain regard, La Guerre est déclarée à La Semaine de la critique).
Qu’est ce que cela dit ? Qu’il y a une relation de cousinage quasi incestueux entre ces institutions ? Non, on aurait tord de voir les choses ainsi. Les festivals ont comme première vocation, il nous semble, de rendre compte d’un état du monde et d’un état du monde cinématographique. Berlin, Cannes, Venise, reçoivent les meilleurs films entre autre parce qu’ils font tout un travail préliminaire de détection des films. Il ne fait aucun doute que ces festivals passent à côté de nombre de films fabuleux et qui resteront pour la plupart confinés, à l’ombre des lumières des critiques et du public. Il n’empêche que les grands festivals défrichent le terrain et qu’il n’est jamais très étonnant de voir les même dans les différents palmarès ensuite. Tomboy (quand même présenté dans la discrète section Panorama à Berlin) et Un Amour de jeunesse, pour rester sur ces exemples, auraient sans doute connu un destin plus fameux s’ils avaient bénéficiés du tremplin d’une sélection officielle à Cannes. C’est tellement évident.
En récompensant The Artist, les votants sont allés dans le sens du consensus. Il n’y a de scandale ce matin, pas à ce niveau là du moins. S’il n’y pas scandale, c’est aussi parce que The Artist est un très bon film, ce que la plupart des journalistes présents à Cannes ont clamé immédiatement, même si quelques un ont retourné leur veste depuis face au sentiment d’overdose. La vérité est que si L’Exercice de l’état ou La Guerre est déclarée avait été préférés, il n’y aurait pas eu de scandale non plus. Ca aurait même été dans une certaine tradition des cérémonies des Césars ces dernières années à récompenser l’outsider plutôt que le grand favoris (L’Esquive face à Rois et Reine en 2005, Lady Chaterley face à Ne le dis à personne et Indigènes en 2007, La Graine et le mulet face à La Môme en 2008, Séraphine face à Entre les murs en 2009 etc.).
La surprise principale n’en est pas tout à fait une. Les votants à Hollywood et aux Baftas vont sans doute railler un petit peu dans leur coin ce côté très français à ne pas couronner celui qui est le Roi partout ailleurs. Que Jean Dujardin doive faire l’impasse sur le César national au profit d’Omar Sy, n’est pourtant pas une injustice. Il n’y avait qu’à constater le bonheur d’Omar à être consacré hier pour mesurer le bon choix des votants. Son émotion éclatante et sincère aura été très rafraîchissante. Cela montre que pour les concernés, un César est tout sauf anodin, il est d’une importance capitale, car il a le pouvoir de changer une carrière, le regard des autres, de la profession, du public. On peut très bien réussir sans, Michel Blanc l’avait jusque là bien démontré, mais il a avoué hier sa reconnaissance et son soulagement, comme quoi passer à côté du César, cela crée un manque. La sincérité et la spontanéité ont leur limite. Le moment de Michel Blanc a été gâché par l’extrême impolitesse de Mathilde Seigner, toujours plus imbécile et à côté de la plaque et dont on se demande ce qui pousse à lui faire confiance dans le cadre d’une telle cérémonie. Heuresement, la remise du César de la meilleure actrice à Carmen Maura a été autrement plus digne, et l’actrice espagnole d’être apparemment vraiment ravie de se tailler une place dans le cinéma français.
On a assisté sinon à un joli moment lors de l’attribution du César de la meilleure actrice à Bérénice Béjo. C’était SA Soirée, et on a comme l’impression que c’est ce que Michel Hazanavicius lui a chuchoté à l’oreille avant qu’elle ne monte sur scène. Bérénice n’avait pas eu sa part dans la razzia de prix obtenus de par le monde par The Artist, elle a tout vécu par procuration. C’était donc bien SA soirée, celle où elle a pu voler la vedette à Jean Dujardin. Les deux partagent l’espoir d’un Oscar ce dimanche, mais pas les même chances de l’obtenir.
Bérénice Béjo obtient sa récompense au détriment notamment des deux actrices de Polisse, Karine Viard et Marina Foïs, qui étaient favorites. Le film de Maïwenn est le principal perdant de la soirée, devant se contenter du prix du meilleur montage (pour Laure Gardette et Yann Dedet) et d’un César du meilleur espoir féminin pour Naydra Ayadi, partagé avec Clotilde Hesme (Angèle et Toni). Le film d’Alix Delaporte est d’ailleurs la bonne surprise du palmarès, réussissant à tirer son épingle du jeu grâce à ses comédiens. A l’instar de sa partenaire Clotilde Hesme, Grégory Gadebois a été désigné Meilleur espoir.
Au-delà des récompenses en elles-même (cf. le détail ci-dessous), la Cérémonie aura comme à son habitude ménagé le triste, le pathétique et quelques jolis instants. Antoine De Caunes n’était pas dans un grand soir même s’il a fait le job. Il s’est parfois enlisé et le recours à Valérie Lemercier pour un gag « en duplex » de Bali, n’était franchement pas une bonne idée. Il était temps que Julie Ferrier arrête son numéro, par contre on aurait été nombreux à adorer que Kate Winslet reste éternellement sur scène. Sa robe était magnifique, et le décolleté très généreux. Michel Gondry qui dans un style savoureux (et une astucieuse déclaration d’amour) lui a remis son César d’honneur, lui a élégamment fait remarquer. Frédéric Beigbeder a lui été bien inspiré de la rappeler sur scène pour venir chercher le César du meilleur scénario adapté pour Carnage, que Roman Polanski et Yasmina Reza, absents, ne pouvaient recevoir. Valérie Bonneton, un peu plus tard et malgré un décolleté non moins généreux, ne pouvait guère rivaliser.
Les Césars sont souvent décriés, mais au final la soirée a été bonne. Au contraire d’une cérémonie qui a quand même trainé en longueur, Jean Dujardin, Bérénice Béjo et Michel Hazanavicius n’ont eux pas du s’attarder beaucoup. Un avion les attendait pour les mener au tapis rouge du Kodak Theatre. Avec autant de nominations qu’aux Césars (10), The Artist peut espérer réaliser encore, dans la nuit de dimanche à lundi, une ultime razzia.
Le Palmarès complet
César d’honneur :
Kate Winslet
Meilleur film français :
La guerre est déclarée – Valérie Donzelli
Le Havre – Aki Kaurismaki
The Artist – Michel Hazanavicius
Polisse – Maïwenn Le Besco
L’Exercice de l’État – Pierre Schoeller
Pater – Alain Cavalier
Intouchables – Eric Toledano et Olivier Nakache
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Meilleur réalisateur :
Alain Cavalier – Pater
Pierre Schoeller – L’Exercice de l’État
Valérie Donzelli – La guerre est déclarée
Michel Hazanavicius – The Artist
Éric Toledano et Olivier Nakache – Intouchables
Aki Kaurismäki – Le Havre
Maïwenn pour Polisse
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Meilleur acteur :
Sami Bouajila – Omar m’a tuer
François Cluzet – Intouchables
Jean Dujardin – The Artist
Olivier Gourmet – L’Exercice de l’État
Denis Podalydès – La Conquête
Omar Sy – Intouchables
Philippe Torreton – Présumé Coupable
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Meilleure actrice :
Bérénice Béjo – The Artist
Leïla Bekhti – La Source des femmes
Valérie Donzelli – La guerre est déclarée
Marina Foïs – Polisse
Marie Gille – Toutes nos envies
Karin Viard – Polisse
Ariane Ascaride – Les Neiges du Kilimandjaro
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Meilleur acteur dans un second rôle :
Michel Blanc – L’Exercice de l’État
Nicolas Duvauchelle – Polisse
Joey Starr – Polisse
Bernard Le Coq – La Conquête
Frédéric Pierrot – Polisse
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Meilleure actrice dans un second rôle :
Zabou Breitman – L’Exercice de l’État
Anne Le Ny – Intouchables
Noémie Lvovsky – L’Apollonide (Souvenirs de la maison close)
Carmen Maura – Les Femmes du 6e étage
Karole Rocher – Polisse
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Meilleur espoir masculin :
Nicolas Bridet – Tu seras mon fils
Grégory Gadebois – Angèle et Tony
Guillaume Gouix – Jimmy Rivière
Pierre Niney – J’aime regarder les filles
Dimitri Storoge – Les Lyonnais
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Meilleur espoir féminin (ex-aequo) :
Naidra Ayadi – Polisse
Adèle Haenel – L’Apollonide (Souvenirs de la maison close)
Clotilde Hesme – Angèle et Tony
Céline Sallette – L’Apollonide (Souvenirs de la maison close)
Christa Théret – La Brindille
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Meilleur scénario original :
La guerre est déclarée – Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm
The Artist – Michel Hazanavicius
Polisse – Maïwenn et Emmanuelle Bercot
L’Exercice de l’État – Pierre Schoeller
Intouchables – Éric Toledano et Olivier Nakache
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Meilleure adaptation et dialogues :
La Délicatesse – David Foenkinos
Présumé Coupable – Vincent Garenq
Omar m’a tuer – Olivier Gorce, Roschdy Zem, Rachid Bouchareb et Olivier Lorelle
L’Ordre et la Morale – Mathieu Kassovitz, Benoît Jaubert et Pierre Geller
Carnage – Roman Polanski et Yasmina Reza
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Meilleure photographie :
Polisse – Pierre Aïm
L’Apollonide (Souvenirs de la maison close) – Josée Deshaies
L’Exercice de l’État – Julien Hirsch
The Artist – Guillaume Schiffman
Intouchables – Mathieu Vadepied
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Meilleur montage :
The Artist – Anne-Sophie Bion et Michel Hazanavicius
L’Exercice de l’État – Laurence Briaud
La guerre est déclarée – Pauline Gaillard
Polisse – Laure Gardette et Yann Dedet
Intouchables – Dorian Rigal-Ansous
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Meilleure musique :
Les Bien-Aimés – Alex Beaupain
L’Apollonide (Souvenirs de la maison close) – Bertrand Bonello
The Artist – Ludovic Bource
Un monstre à Paris – Mathieu Chedid et Patrice Renson
L’Exercice de l’État – Philippe Schiller
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Meilleur son :
Intouchables – Pascal Armant, Jean Goudier et Jean-Paul Hurier
L’Apollonide (Souvenirs de la maison close) – Jean-Pierre Duret, Nicolas Moreau et Jean-Pierre Laforce
L’Exercice de l’État – Olivier Hespel, Julie Brenta et Jean-Pierre Laforce
Polisse – Nicolas Provost, Rym Debbarh-Mounir et Emmanuel Croset
La guerre est déclarée – André Rigaut, Sébastien Savine et Laurent Gabiot
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Meilleurs décors :
The Artist – Laurence Bennett
L’Apollonide (Souvenirs de la maison close) – Alain Guffroy
Les Femmes du 6e étage – Pierre-François Limbosch
L’Exercice de l’État – Jean-Marc Tran Tan Ba
Le Havre – Wouter Zoon
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Meilleurs costumes :
My Little Princess – Catherine Baba
The Artist – Mark Bridges
Les Femmes du 6e étage – Christian Gasc
La Source des femmes – Viorica Petrovici
L’Apollonide (Souvenirs de la maison close) – Anaïs Romand
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Meilleur premier film :
17 filles
Angèle et Tony
Le Cochon de Gaza
La Délicatesse
My Little Princess
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Meilleur film d’animation :
Le Chat du rabbin
Le Cirque
La Queue de la souris
Un monstre à Paris
Le Tableau
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Meilleur film documentaire :
Le Bal des menteurs
Crazy Horse
Ici on noie les Algériens
Michel Petrucciani
Tous au Larzac
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Meilleur court-métrage :
L’Accordeur
La France qui se lêve tôt
J’aurais pu être une pute
Je pourrais être votre grand-mère
Un Monde sans femmes
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Meilleur film étranger :
Black Swan
Le Discours d’un roi
Drive
Le Gamin au vélo
Incendies
Melancholia
Une séparation
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Il est scandaleux de voir Dujardin se faire déposséder d’une récompense amplement méritée. En effet, si Omar Sy fait montre d’un talent certain dans « Intouchables », Jean Dujardin en révèle un exceptionnel dans « The Artist ». Aussi, il est regrettable que des professionnels ne récompensent pas le professionnalisme d’un acteur mais succombent à une sympathie, encensent une figure populaire même bonne au détriment d’un acteur qui, lui, marque le cinéma.
Une décision incompréhensible à mes yeux. — Mais peut-être que je me trompe ; l’avenir nous le dira.