Le hasard a voulu que le rendez-vous pris avec Carice van Houten soit calé pour le 14 février, jour de Saint-Valentin. L’actrice au charme indiscutable n’était cependant pas là pour un rendez-vous amoureux, mais pour nous parler d’Ingrid Jonker son nouveau film, à propos de l’écrivain sud africaine du même nom. Poétesse engagée et au destin tragique, Ingrid Jonker reste largement méconnue, notamment en France. Nelson Mandela lui a pourtant donné un écho important en choisissant de lire devant le Parlement sud-africain en 1994 son bouleversant poème Die Kind/The Child, au sujet d’une enfant noir mort sous les balles d’un policier blanc à Nyanga. Le film de Paula van der Oest raconte les dernières années de la vie d’Ingrid, ses relations tumultueuses avec son père, avec ses amants, les écrivains Jack Cope et André Brink entre autres, jusqu’à son suicide en 1965 à l’âge de 32 ans. C’est à Paris, une ville par laquelle Ingrid est passée et où elle a vécu, que nous avons pu poser quelques questions à celle qui aujourd’hui incarne la poétesse à l’écran.
Laterna Magica : Paris représente une étape particulière dans la vie d’Ingrid Jonker ?
Carice van Houten : D’après ce que j’ai lu a propos d’elle, elle a vraiment aimé vivre ici. Elle allait au restaurant, faisait la fête. Je crois qu’elle a vraiment aimé Paris. Et je comprend pourquoi ! Paris est une ville magnifique.
Ingrid n’est pas très connue en France. Pouvez-vous la présenter en quelques mots ?
Elle était une poète sud-africaine, née en… 1933 je crois… Elle avait des relations très compliquées avec son père, qui était député pendant l’Apartheid. Elle cherchait sa reconnaissance mais ne l’a jamais obtenue. Elle cherchait toujours l’amour de son père mais elle a perdu ce combat. Ca a été la tragédie de sa vie.
Elle avait des relations très compliquées avec les hommes en général ?
Oui, très compliquées. Je crois qu’elle essayait de compenser le manque d’amour donné par son père en allant vers d’autres hommes. Elle était très sensible, maniaco-dépressive… la vie n’a pas été facile pour elle.
Vous êtes impliquée dans le projet de ce film depuis plusieurs années. De quelle manière exactement ?
J’ai été approchée en 2006 par la réalisatrice Paula van der Oest. J’ai lu le scénario et ça m’a tout de suite beaucoup plus. Je me suis impliqué en tant que co-productrice mais ça a pris trois ans pour que le film puisse se faire. Il est plus difficile de convaincre les gens de faire un film sur Ingrid Jonker que sur Marilyn Monroe par exemple ! Ingrid Jonker n’était pas non plus très connue au Pays-bas. Seuls quelques personnes connaissaient sa poésie et l’avait lu. Ca a donc pris trois ans et finalement, ça a été une bonne chose pour moi. Ca m’a rapproché de l’âge qu’elle avait.
Comment avez-vous préparé le rôle ? Vous avez fait des recherches ?
J’ai lu sur sa vie et j’ai lu ses livres. J’ai rencontré les gens qui l’avaient connue, sa fille… mais vous savez, à un moment donné, une fois que vous avez collecté assez d’informations, il faut se débrouiller soi même et s’approprier le personnage.
De quoi parle la poésie d’Ingrid ?
Elle a beaucoup écrit sur la mort, mais pas seulement, sur la mer aussi. Elle a surtout beaucoup écrit à propos de sa vie amoureuse, sur Jake Cope, et sur ses autres amants. Elle a eu beaucoup d’amants. Elle était une femme très différentes des autres femmes à son époque, très moderne. Elle était indépendante et ne se laissait dicter sa conduite par personne
Est-ce que vous connaissiez Ingrid Jonker avant de faire ce film ?
Non, c’est vraiment le film qui m’a permis de faire sa connaissance. Mais j’avais quand même vu un excellent documentaire à la télévision réalisé par une femme, Saskia van Schaik.
L’Apartheid est terminé en Afrique du sud mais ne trouvez-vous pas que le poème « The Child » conserve malheureusement une actualité avec ce qu’il se passe en Syrie à l’heure actuelle par exemple ?
Pour être honnête, je n’ai pas trop suivi l’actualité, je ne peux pas en parler.
Au delà de ce qu’il se passe en Syrie, ce poème pourrait tout aussi bien illustrer toutes ces situations de guerre où les enfants se retrouvent impliqués et victimes malgré eux ?
Le poème garde en effet une vraie actualité. D’ailleurs il a été très judicieux de la part de Nelson Mandela de lire ce poème devant le Parlement. Ce poème, écrit par une femme blanche, a d’autant plus de force quand il est lu par un homme noir…
Vous partagez l’affiche du film avec Rutger Hauer. Est-ce que vous avez discutés de vos expériences avec Paul Verhoeven ?
A chaque fois que je tourne un film, j’envoie à Paul des messages comme « tu me manques, tu me manques ! ». L’expérience de tourner avec lui a été tellement extraordinaire. J’aimerais tant retravailler avec lui
Vous êtes restée en contact avec lui ?
Oui, on doit même se retrouver bientôt pour dîner. On a gardé une très bonne relation. Il est à la fois comme mon père et comme mon frère.
Une dernière question, y’a t’il un poème d’Ingrid Jonker que vous aimez particulièrement ?
Le titre est The Face of love. C’est un très beau poème… mais elle en a écrit tellement !
Interview réalisée à Paris le 14 février 2012 par Benoît Thevenin.