S’il n’est pour l’instant connu en France que de quelques cercles cinéphiles, Hitoshi Matsumoto est au Japon une grande star de la télévision. L’entretien qu’il nous a accordé à Paris, à la veille de son départ pour Deauville où son film est présenté en compétition du festival Asia, aura été pour nous une expérience tout à fait singulière. Le cinéaste est en effet accompagné le temps de sa tournée promo en France par une équipe de la chaîne de télé japonaise Fuji TV qui le suit partout. L’entretien avait alors ceci de particulier que le trio que nous composions avec la traductrice de ses propos était scruté par photographe et caméra ! Une drôle de rencontre donc, mais à la hauteur de la personnalité atypique de Matsumoto et de ses films débridés qui ne ressemblent qu’à lui. L’explication de sa façon de diriger son comédien dans Saya Zamuraï n’est, comme vous pouvez le lire ci dessous, pas moins curieuse…
Laterna Magica : Par rapport à vos précédents films, plus fous et décomplexés, peut-on dire qu’avec « Saya Zamuraï » vous vous êtes assagi ?
Hitoshi Matsumoto : Je ne sais pas… En tout cas, pour moi mes premiers films sont comme des tableaux abstraits. Avec Saya Zamouraï, j’ai voulu tout reprendre à zéro et faire un film différent, plus ancré dans le réel et, si l’on file la comparaison picturale, que je définirait comme un tableau représentant un paysage.
Pour la première fois, vous ne vous mettez pas en scène. Est-ce que ça a changé votre façon de travailler ?
A chaque fois que je fais un film, je me fixe quelques défis. Cette fois, j’ai décidé de me concentrer sur mon travail de réalisateur. Ce film raconte l’histoire d’un homme qui se retrouve acculé. J’ai pensé qu’il était mieux que, pour ce rôle, je ne m’expose pas.
Pour ce personnage vous avez donc choisi un acteur amateur. Comment l’avez-vous trouvé, puis dirigé ?
C’est une histoire de samouraï et je voulais la traiter avec un peu de réalisme. J’ai cherché un acteur mais je n’en ai pas trouvé qui me convenait parmi les comédiens professionnels. Takaaki Nomi, que j’ai choisi pour ce rôle, est dans la vie ce que l’on appelle un marginal. On peut même dire de lui qu’il est inadapté à la société.
Nous nous connaissons depuis des années et il sait donc qui je suis et ce que je fais. Cependant, je ne lui ai jamais dit que je tournais mon film. J’avais peur que, s’il le savait, il perde son attention et qu’il se lâche. On ne lui a alors jamais dit que l’on faisait un film ! Je demandais à mon assistant de lui donner à ma place les indications, pour qu’il ne sache pas que j’étais le réalisateur. On lui demandait simplement de faire rire l’enfant en face de lui et on lui disait que s’il ne serait pas payé s’il n’y parvenait pas. Ce que l’on voit dans le film, c’est presque un documentaire sur lui.
Vous venez de la télévision. Votre film fonctionne un peu à l’exemple d’une émission de divertissement qui doit chaque jour se renouveler pour séduire les spectateurs. Vous en êtes vous inspiré ?
Je crois qu’il y a dans ce film beaucoup de mes propres expériences. Ce que je fais à la télévision me donne beaucoup d’idées pour faire mes films. Mais aujourd’hui, je pense beaucoup aux spectateurs étrangers.
Comment ça ? Vous changez votre façon de faire des films dans le but d’intéresser le public du monde entier ?
Ma manière de faire des films ne va pas changer. Je pense que le rire, en tout cas ce qui est drôle, est universel. Mais les choses qui ne font rire que les japonais, ce n’est pas ça que je veux faire au cinéma.
Interview réalisée à Paris le 7 mars 2012 par Benoît Thevenin
Propos traduits du japonais par Shoko Takahashi.