Cloclo de Florent Emilio Siri (2012)

Chanteur populaire au destin tragique, Claude François méritait bien son biopic. L’entreprise de Florent Emilio Siri était néanmoins risquée. Le chanteur véhicule toute une imagerie kitsch et n’a aujourd’hui, d’une certaine manière, plus vraiment la cote (on ne se réfère pas à Claude François comme on se réfère à Nougaro, Bécaud ou Brassens par exemple). Claude François a certes marqué son époque, et son décès en 1978 a bouleversé la France entière. Néanmoins, la question de l’héritage artistique qu’il laisse derrière lui se pose. Claude François, pour beaucoup, était un chanteur à minettes, un génie marketing, un suiveur de modes, un recycleur habile… mais sinon ? Avouer son goût pour les chansons de Claude François risquait bien, encore très récemment, de vous faire passer pour complètement ringard.

La première réussite de Florent Emilio Siri est là, il permet de déringardiser l’image de Claude François. La mise en scène sophistiquée, ambitieuse et élégante du cinéaste offre un écrin majestueux à la carrière du chanteur. Le cinéaste échappe au risque du kitsch car sa réalisation est moderne, enlevée, originale, et en même temps, quand même discrète et pas déstabilisante pour le grand public. La lumière qui inonde l’écran du début à la fin offre une stature au personnage de Cloclo. Il est dans la lumière autant qu’il s’en nourrit. Le soleil est omniprésent, celui d’Alexandrie comme celui du sud de la France ou des beaux jours à Paris. Dans le film, rien ne brille autant que Claude François sinon ce soleil qui semble l’accompagner dans presque chacun de ses pas.

Claude François est justement un personnage qui aspire toute la lumière autour de lui. Il est ambitieux, travailleur, exigeant, mégalomane et son itinéraire est presque celui d’un Empereur. Autour de lui, les personnages peinent à exister. Claude François cannibalise tout. En dehors de sa mère (Monica Scattini) et sa soeur (Sabrina Seyvecou), voir Isabelle (Ana Girardot), la mère de ses enfants, les personnages traversent le film, représentent chacun un épisode à chaque fois relativement bref de sa vie, et disparaissent comme une page que l’on tourne : son père (Marc Barbé), son premier producteur (Eric Savin), ses premières grandes histoires d’amour (Janet/Maud Jurez et France Galle/Joséphine Japy) et même Paul Lederman son emblématique producteur (Benoît Magimel, quasi méconnaissable) n’ont pas une présence constante auprès de la star. Il n’empêche pas que tout ce casting est admirable, avec des mentions spéciales à Marc Barbé, Sabrina Seyvecou et Joséphine Japy, chacun solide et impressionnant de résistance face à un Claude François qui mène sa barque en forçant son destin tel un bulldozer ruine tout sur son passage.

Le film est ainsi envisagé entièrement à la première personne. Le cinéaste n’adopte pas le point de vue de Claude François mais se place en permanence à côté de lui. A la même hauteur que Claude François, il n’y a donc que deux choses,  le soleil – cette gloire qu’il vise et atteint – et la caméra, parce que Claude François mettait littéralement en scène sa vie, ce que le film montre très bien. Le chanteur exerce un contrôle sur tout, dans un soucis maniaque du moindre détail, ce qui au final provoque sa perte. Florent Emilio Siri ne propose en rien une hagiographie. Nous ne sommes pas dans la célébration du personnage de Claude François. Au contraire, ce qui le rend si fascinant, ce qui légitimise même sa légende, c’est le fait que l’on passe aisément de l’admiration pour Claude François au rejet le plus absolu (une dualité que lui même à chanté avec Le Mal aimé). Claude François est montré dans toute la complexité de son caractère, même si chacun de ses traits était connu depuis longtemps, même si personne ne l’imaginait comme un saint. Cela fait quelque peu l’originalité de ce biopic, un genre qui a souvent du mal à concilier les parts d’ombre et de lumière dans un même récit. Claude François est montré comme quelqu’un d’intransigeant, caractériel, calculateur et, s’il a chanté ses douleurs sentimentales, on le découvre particulièrement cruel en amour. Tout cela donne de la force au personnage et au film. Claude François apparait finalement comme quelqu’un de terriblement humain, qui se barricade et se protège, qui ne connait pas le privilège de la constance, qui est rongé par le doute, grisé par le succès, grignoté par ses démons. Ce portrait de Claude François est Bigger than life et en même temps chacun de ses défauts nous ramène à une réalité triviale, dans laquelle il n’est qu’un homme simple avec toutes ses contradictions.

Toutes ces nuances, Jérémie Rénier les incarne à la perfection. Le comédien belge est totalement rentré dans la peau du personnage. Le mimétisme est parfois impressionnant mais ce n’est finalement pas ce qui nous saisit le plus. L’implication physique est manifeste. Le comédien se donne et transpire d’une manière que l’illusion cinématographique nous fait paraître équivalente à l’énergie que Claude François déployait au quotidien. Cette énergie, Jérémie Rénier nous la fait justement ressentir, l’adrénaline qui le porte est quasiment palpable, comme si le chanteur habitait l’acteur.

Le film de Florent Emilio Siri est une vraie réussite, du grand cinéma populaire, ambitieux et sans fausse-note. On peut trouver le début du film un peu poussif, presque lisse même, mais l’intensité du récit monte progressivement en cadence et l’émotion guette souvent. Le film est parsemé de séquences fortes, déjà d’un point de vue purement technique et visuel : la séquence en split screen, sous fond de Cette année là, qui place en miroir le vrai Claude François et Jérémie Rénier ; la séquence du disque de Sinatra, amené à sa loge par un coursier ; les deux séquences oniriques qui reconfrontent Claude à son père ou à son enfance ; ou encore le plan-séquence dans lequel Claude quitte son appartement et s’enivre d’un bain de foule avant de rejoindre son bureau. D’autres séquences nous happent de part leur intensité émotionnelle : la rupture avec France Gall, la mort de Claude etc.

Cette fin tend à affirmer la maîtrise de Florent Emilio Siri sur ce film. La mort de Claude François est une scène attendue et que l’on peut redouter tant elle est périlleuse. On connait les circonstances de son décès et il y a un risque d’impudeur ou de pathos que le cinéaste esquive avec tact sans sacrifier l’émotion et le choc qu’a représenté l’annonce de sa mort à cette époque. Florent Emilio Siri parvient à redonner à Claude François la pleine mesure de ce qu’il représentait à ce moment là. Il était une idole, il entretenait un rapport très particulier avec le public et les médias, et avec sa mort il est rentré définitivement dans la légende. Cloclo rend justice à cette légende.

Benoît Thevenin

Cloclo ****

Sortie française le 14 mars 2012

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