Pour son cinquième long-métrage, cinq ans après « L’Ennemi Intime » (2007), Florent Emilio Siri met en scène le destin fabuleux mais finalement tragique de Claude François, figure emblématique des années 70, chanteur populaire et mal aimé pensait-il. A l’occasion d’une table ronde en compagnie de quelques blogueurs cinéma, nous avons pu poser quelques questions au réalisateur. La rencontre aura été passionnante, car Florent Emilio Siri aura été généreux dans ses réponses, à tel point que le temps qu’il nous aura accordé se sera avéré quand même trop court. Nous vous proposons la retranscription intégrale de nos questions.
La rencontre a aussi été l’occasion pour nous de s’essayer à une première tentative d’interview-vidéo. Le résultat est maladroit, on vous l’accorde, mais cet essai a été largement improvisé et on promet de s’organiser mieux pour une prochaine fois. Le montage vidéo condense l’entretien en un peu plus de 7 min. La retranscription écrite est elle intégrale. A bon entendeur.
Laterna Magica : Est-ce que le fait que Claude François soit d’origine italienne par sa mère a favorisé votre choix de faire ce film ?
Florent Emilio Siri : Non, ç’est quelque chose que j’ai découvert. Si il y a trois ans on m’avait dit que je ferais un film sur Claude François, je vous aurait sans doute répondu non. Je ne le connaissais pas. J’avais une image un peu lisse et superficielle de lui, celle du chanteur à minettes. C’est un producteur avec qui j’avais envie de travailler depuis longtemps qui m’a donné un documentaire à regarder, et c’est là que j’ai découvert un pure personnage de cinéma, avec un destin incroyable. C’est vrai que je me suis connecté avec lui sur certains points mais pas spécialement concernant ses origines italiennes. Mon père était mineur de charbon et je sais ce que ça veut dire d’être en bas, d’arriver à vivre de sa passion, l’angoisse de retomber que ça peut créer…
Sinon, moi aussi j’ai perdu, non pas mon père mais ma mère quand j’avais vingt ans. Par exemple, cette scène dans le film où il reçoit le disque de Sinatra et imagine le montrer à son père, c’est quelque chose que j’aurais aimé pouvoir faire. Je me suis projeté dans cette scène.
Il y a aussi ce côté latin qu’il a et qui m’a fasciné également. Sa volonté de s’accrocher, les sacrifices que cela demande… Et puis pour un metteur en scène, faire un film sur un homme qui met sa vie en scène, c’est assez formidable.
Quels ont été les défis techniques imposés par votre mise en scène ? Je pense par exemple au plan séquence lorsqu’il sort de la douche, dicte ses instructions au dictaphone et va jusqu’à son bureau.
J’ai la chance de ne plus avoir de problème avec la technique. Je trouve que le métier de cinéaste est un métier d’artisan. Il faut travailler, travailler… J’ai fait trente clips avant mon premier film. Je n’ai plus de problématiques avec la technique. Par contre, maintenant je me lâche et je me libère complètement d’elle. Je pense que je suis arrivé à maturité avec la mise en scène et ai passé un cap avec L’Ennemi intime. Aujourd’hui, je suis très libéré, je peux m’éclater et m’amuser. Je n’ai pas eu de défi. Ou alors c’est pas des défis mais plutôt comment faire rentrer dans un budget une volonté visuelle.
Dès l’écriture, je n’ai pas fait d’establishing shot, c’est à dire commencer par un plan large qui situe l’époque, l’ambiance etc. Je me suis débarrassé de ça. Plutôt que de faire un establishing, je le suis en séquence quand il sort de chez lui, je met 200 voitures dans la rue etc. et on va vivre l’époque de l’intérieur avec le personnage. C’est vrai qu’ils (NDLR l’équipe du film) m’ont prit un peu pour un fou, parce que c’est un plan très compliqué. On commence en studio, après on est dans le vrai décor du Boulevard Exelmans, il y a des fonds bleus, j’ai fait découper une voiture… C’était un peu fou.
Dans certains plans, le mimétisme entre Jérémie Rénier et Claude François est saisissant. Comment avez vous obtenu ce résultat ?
J’ai beaucoup observé Claude François, et Jérémie aussi. C’est un gros travail d’immersion. J’ai documenté toutes les scènes du scénario en photos et vidéos. Claude François avait toujours un photographe près de lui. Par exemple, la scène au bord de la piscine pour la création de Comme d’habitude, on a des photos de ce jour là. Il y avait une masse d’archives dont on s’est nourrit, avant le tournage, pendant. En plus, tous les matins je proposait à Jérémie des vidéos correspondant aux scènes qu’il allait jouer. Et puis il y a un gros travail de maquillage, j’ai fait des tests de focales en fonction des axes de la caméra. Il y a tout un travail en amont et pendant.
Vous avez utilisé les versions originales des chansons de Claude François mais parfois Jérémie Rénier pousse un petit peu la voix. Comment s’est fait le choix de confier ou pas l’interprétation des chansons à Jérémie Rénier ? Est-ce qu’à la base du projet, vous avez pensé, à l’exemple de Marion Cotillard dans « La Môme », laisser le comédien s’approprier les chansons ?
Claude François a une voix très particulière, et puis elle a évoluée aussi car il s’est fait plusieurs fois opérer du nez. Je voulais un grand acteur pour interpréter Claude François et ça tombe bien parce qu’avec Jérémie Rénier on en avait un, qui lui ressemble en plus, et puis qui est un bosseur incroyable. Pendant cinq mois, il a été Claude François matin, midi et soir, avec 4h de danse par jour, du chant, des percussions etc. Jérémie a pris des cours de chants mais, par exemple pour Magnolia for ever, c’est la voix de Claude François, on allait pas dénaturer cette chanson. Mais il fallait que Jérémie l’interprète, qu’il la chante, qu’il la vive. C’est lui qui chante, mais c’est la voix de Claude François que l’on entend. Par contre, on avait pas de trace des lives, alors on est allé chercher les chansons de Claude François et on a refait les lives avec des sosies vocaux. En fonction des chansons, il y en avait trois. Sur scène, on laissait aussi toujours un micro ouvert pour Jérémie. Parfois, sur des relances de souffle, sur des attaques de mots, on pouvait s’amuser à utiliser la voix de Jérémie et glisser le sosie vocal pour que l’illusion soit parfaite. Jérémie a travaillé sa voix. Il l’a monté d’un cran. Et puis il a complètement incarné les chansons.
On a également eu accès aux multipistes grâce aux enfants de Claude François. Par exemple, Magnolia for ever, j’avais tous les éléments séparés, la voix, les cordes, les percussions. Je pouvais comme ça la spacialiser pour le cinéma. On a fait un vrai boulot sur la musique, pour le cinéma.
La mort de Claude François est traitée de façon elliptique. C’est une scène attendue et qui est périlleuse à traiter. Est-ce un choix pour épargner les fans car la séquence peut-être éprouvante, ou bien était-ce le moyen de contourner le risque de tomber dans un certain ridicule ?
Je me suis tout de suite posé la question de sa mort. Le film est vu du point de vue de Claude François, et j’ai tourné cette scène comme un thriller. C’est à dire, nous sommes Claude François qui prend sa douche, qui savonne son gant de toilette etc. Tout passe par son regard. J’ai dilaté le temps, parce que ça crée du suspens. Et surtout, ce que je ne voulais pas, c’est que ce soit impudique. Ce qui m’intéressait plus, c’était la réaction. A la fin du film, Claude François fait un peu partie de notre famille. On l’a aimé, on l’a détesté etc. Ce que je voulais, c’est comme quand on perd quelqu’un de cher. On a tous connu un jour où le téléphone a sonné pour nous informer, voila il s’est passé ça…Je voulais qu’on soit dans ce sentiment là, comme si on avait perdu un proche. Et je l’ai connecté avec ce que c’était à l’époque, ce que ça a crée, ces gens qui pleurent, qui hurlent. Les images d’archives nous ramènent à la réalité. Claude François c’était ça : la France a été bouleversée d’un coup.
Qui est votre Franck Sinatra ? C’est à dire, la personne que vous auriez du mal à aller voir si vous le croisiez par hasard dans un hall d’hôtel ?
Je ne peux pas le croiser, il est mort. Ca aurait été Jean Renoir. Il est un cinéaste que j’adore. Il y en a plein d’autres. J’irai pas voir Coppola. J’adore Scorsese, Spielberg. Et dans les réalisateurs français, ils sont tous morts (rires). Je rigole mais c’est vrai. J’aime Renoir, Ophuls, Melville… Mais c’est normal ça. Quand tu es fou de cinéma, tu aimes tes pères. C’est eux que tu respectes. Claude François et Franck Sinatra, ils ne sont pas du tout de la même génération. Sinatra, c’était son père.
Propos recueillis par Benoît Thevenin le 7 mars 2012 à Paris