Une nuit, une dispute éclate entre un couple. Un enfant est couché qui ne dort pas. Le cinéaste reste en plan fixe sur l’enfant, la dispute raisonne en off. D’entrée, on rentre dans le film par une porte qui peut nous paraître très familière. Le succès d’Une séparation a sans doute créé quelques préjugés sur le cinéma iranien. C’est en tout cas au film de Farhadi que l’on pense spontanément : un couple se déchire dans une pluie de mots. La séquence suivante prend tout le monde à revers, et c’est à un autre cinéaste iranien que l’on pense alors. Une voiture file sur une route de montagne en Iran. Les sous-titres défilent à l’écran mais on ne comprend pas ce qu’il se passe. Subit on un problème technique ? Une discussion se déroule mais on n’entend aucun mot. Il faut une dizaine de minutes pour que la caméra, jusque là extérieure, entre enfin à l’intérieur de la voiture. Et là de comprendre que le couple à l’intérieur, qui n’est pas le même que celui qui se disputait initialement, communique dans le langage des signes.
Formé au cinéma via les ateliers que propose Abbas Kiarostami, Morteza Farshbaf s’inscrit de fait sous le parrainage de son aîné, mais fait surtout montre d’une originalité et d’une audace qui interpellent forcément. Ce premier long-métrage est en fait le prolongement d’un court-métrage que le cinéaste a réalisé dans le cadre des ateliers de Kiarostami, avec le même parti pris. L’idée est peut-être simple, mais encore fallait-il y penser. Sans doute cette manière de nous faire rentrer dans le film s’avèrera contre-productive auprès de certain spectateur. Mais c’est de là que se construit l’intérêt pour le film, qu’il devient objet de fascination.
Le cinéaste se refuse à toute analyse du film et jure qu’il n’a voulu symboliser aucun discours. Ce silence en dit quand même long, sur une société aux multiples paradoxes et où la parole et l’expression ne sont pas complètement libre, Jafar Panahi et quelques uns de ses collègues cinéastes en Iran peuvent en témoigner.
On peut voir quelques symboles dans la mise en scène et les noeuds dramatiques, mais il est vrai que les enjeux narratifs ne s’émancipent jamais du premier degré de compréhension. Morteza Farshbaf ne pratique pas du tout le double discours pour ce qui est des discussions muettes à l’intérieure de la voiture. Les deux adultes sont l’oncle et la tante de l’enfant dans la séquence d’introduction. Le couple qui se disputait était ses parents. Dans la nuit ils ont eu un accident et sont morts. L’oncle et la tante débattent de la façon dont l’enfant devra apprendre ce qu’il s’est passé, de ce qu’il adviendra de lui, de qui le prendra en charge etc. Les enjeux se déplacent progressivement et l’enfant, d’abord à l’écart, s’impose dans le récit. La boucle sera même bouclée car c’est sur lui que le film s’achève, dans une conclusion simple, pudique, et belle. Morteza Farshbaf est parvenu a maintenir notre intérêt initial jusqu’au bout. Son film est pour nous un vrai coup de coeur.
Benoît Thevenin
Querelles
Sortie française le 25 avril 2012