[Querelles] Interview avec le réalisateur Morteza Farshbaf

La veille du palmarès de Deauville Asia, le réalisateur iranien Morteza Farshbaf nous recevait pour parler de Querelles, son premier long-métrage, lequel sortira dans les salles françaises le 25 avril prochain. Le jeune cinéaste, très poli et agréable, s’est prêté avec beaucoup d’humilité aux quelques questions que nous lui avons posé.  A la fin de l’entretien, il s’est même montré très soucieux de la façon dont nous avions perçu le film. Querelles est pour nous un véritable coup de coeur. Le jury du festival, présidé par le cinéaste palestinien Elia Suleiman, devait être sur la même longueur d’onde puisque le film à reçu le Grand prix de cette 14e édition.

Laterna Magica : Quel est votre parcours ? Comment en êtes vous venu à la réalisation ?

Morteza Farshbaf : Après avoir obtenu mon bac à dix huit ans, je me suis inscrit en fac de cinéma où j’ai été quelques années jusqu’à obtenir ma licence. J’ai continué en Master mais il se trouve qu’au cours d’un voyage j’ai rencontré, complètement par hasard, Abbas Kiarostami. Nous avons fait connaissance et il m’a ensuite permis d’assister à un atelier de réalisation qu’il organisait à Téhéran. J’y suis allé et je me suis rendu compte que ça m’intéressait de suivre cette voie non académique,  cette façon qui ne soit plus une façon théorique mais bien plus pratique de faire du cinéma en côtoyant un maître. J’ai renoncé à la fac, je n’ai pas fait mon Master, et j’ai commencé à travailler avec lui, d’abord sur des idées de courts-métrages. J’en ai réalisé sept et il y en a un de ceux là dont M. Kiarostami m’a suggéré de le transformer en long, parce qu’il trouvait qu’il en avait le potentiel. Cette première histoire qui durait quinze minute a été retravaillée pour donner un long-métrage qui est le film que vous avez vu.

Que racontait ce court-métrage ? Jusqu’où l’histoire allait elle ?

Dans ces ateliers, M. Kiarostami nous propose un thème et tous les étudiants travaillent sur le même thème. Cette fois le thème était « le vent souffle où il veut ». Avec une autre étudiante qui s’appelle Anahita Ghazvinizadeh (la coscénariste du film), nous avons eu l’idée de travailler sur ce projet là, qui était la même histoire que celle de Querelles, sauf que la focalisation était bien davantage sur la relation du couple et sur cette difficulté, cette lourdeur qu’ils ressentaient à devoir annoncer la nouvelle de l’accident à l’enfant. L’enfant était juste à l’arrière-plan, assis sur la banquette et n’avait pas de dialogue, la caméra n’était jamais sur lui. Le film se terminait quand la voiture entrait dans le tunnel, alors que la femme était sur le point de tout raconter à ce garçon.

Aviez-vous alors déjà opté pour le parti pris du langage des signes ?

Ca a été la première idée du film. Je crois que j’ai eu l’idée de faire ce film un jour que j’étais en voiture avec mon frère. On revenait du nord de l’Iran, ma région d’origine, vers Téhéran et notre discussion était très vive. A un moment on est entré sous un tunnel. Ce changement d’atmosphère m’a soudain fait prendre conscience que, si nous avions du utiliser la langue des signes, cet élément naturel qui est l’obscurité nous aurait réduit au silence. On aurait du interrompre notre conversation au moment où tout d’un coup le contexte nous l’aurait imposé. je crois que ce qui a vraiment fait germer l’idée de ce scénario, c’est cette réalisation là.

Y’a t’il une métaphore politique derrière ce silence ?

Tout ce que je peux dire c’est que lorsque l’on écrivait ce film, on était extrêmement concentrés sur les personnages. On se posait la question où est-ce que ces personnages nous emmenaient et à quelle vérité on pouvait accéder à travers eux et à travers leur trajectoire intérieure. On avait pas du tout à l’esprit d’y placer des symboles, ou d’attirer l’attention sur des éléments extérieurs eux personnages. Tout ce qui nous intéressait, c’était la vie intérieure de ces personnages, leur trajectoire personnelle et intime. Après, ce n’est pas notre rôle de vouloir élucider ou pas d’autres aspects qui peuvent être perçus par les spectateurs ou les critiques

Vous avez donc commencé sous le parrainage d’Abbas Kiarostami et c’est une référence à laquelle on pense immédiatement en voyant le film. Avez vous d’autres influences, des cinéastes qui sont importants pour vous ?

Pour ce qui est du parrainage de Kiarostami, au moment où nous écrivions cette histoire, on s’est rendu compte qu’il nous fallait dans une certaine mesure assumer cette ombre de Kiarostami qui pouvait planer, mais en même temps ne pas la rendre plus pesante qu’elle n’est. Je pense qu’il y a une grande différence entre copier le travail de quelqu’un et s’en inspirer. Nous, tout ce que nous avons fait, c’est que nous avons assumé cette inspiration dans la mesure ou le travail de Kiarostami n’est pas extrêmement ciblé ou ramassé qu’il s’agit de pomper. C’est un univers tout entier et nous avons seulement laissé porte ouverte aux éléments de cet univers qui pouvaient nous intéresser, et nous l’assumons complètement.

Il y a certainement d’autres influences qui m’ont nourrit dans ma vie et dans le travail que j’ai pu faire, sauf que ces influences sont difficiles à décoder car plus éloignées en termes culturels et géographiques que ne l’est Kiarostami…

Y’a t’il d’autres jeunes cinéastes iraniens issus des ateliers de Kiarostami et dont vous pensez qu’on les verra arriver bientôt ?

Oui, il y a au moins trois jeunes réalisateurs que moi je connais et dont vous allez sans doute découvrir les films. Ce que je peux dire c’est que ces ateliers ne sont pas un endroit où le cinéma est enseigné. il s’agit pour nous de trouver les moyens de faire des films pour nous trouver nous même. Ce travail ne peut se faire que si les films se font, on est donc un peu obligé de produire. Le fruit de ce processus est là et vous verrez les films un jour ou l’autre, indubitablement.

Interview réalisée à Deauville le 10 mars 2012 par Benoît Thevenin

Propos traduits du farsi par Massoumeh Lahidji

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