Ljubjana 2008. Damjan Kozole inscrit le portrait de son héroïne dans une Slovénie très récemment entrée dans la zone Euro (en 2007). Indépendant depuis 1991, le jeune état Slovène a fait le choix d’un rêve démocratique et prospère commun. La zone Euro, même si elle est très chahutée à l’aune des temps actuels, c’est d’abord ça, la promesse d’un avenir libre, protégé, et riche, qui suscite légitimement espoirs et illusions auprès de la jeunesse à l’intérieur du pays. 2008 représente alors un moment où tout est possible pour chacun.
Alexandra (Nina Ivanisin, belle révélation) est une jeune étudiante à Ljubjana. Elle étudie notamment l’anglais, comme preuve que ces études représentent, pour chacun, comme une ouverture sur le monde global. Alexandra est également une call girl indépendante. Son activité de prostituée lui permet de gagner plus vite que les autres certains galons, un vaste appartement par exemple, que ses camarades de fac peuvent lui envier. Une nuit, un député allemand qui l’a faite venir pour louer ses services meurt devant elle d’une crise cardiaque. Le pauvre homme a quelque peu abusé du Viagra.
Slovenian Girl n’est pas à proprement parler un film sur la prostitution. Damjan Kozole fait plutôt, à travers la figure de son personnage principal, le portrait d’une société entière, fragile, pas glamour mais séduisante, et d’une certaine manière gourmande. Alexandra adopte d’ailleurs un nom de code équivoque pour ses activités : Slovenka, c’est à dire La fille slovène ou Slovenian girl. Pour elle, la prostitution est un moyen facile de gagner de l’argent rapidement. Elle dit ne vendre son corps qu’occasionnellement et gère son corps comme une petite entreprise. La banque qui lui met la pression pour rembourser un prêt, le député qui meurt d’une overdose de Viagra, tout cela participe d’une idée du capitalisme qui a le culte de la performance et de la rentabilité.
Le système d’Alexandra s’effondre lorsque le député meurt. La police et les médias sont à sa recherche, et elle devient dès lors fragilisée et une véritable proie. Elle se doit d’être prudente, d’autant qu’elle mène une double vie, car évidemment personne dans son entourage, ni son père ni ses amis, ne se doutent de ce qu’elle fait. Alexandra fait rapidement le choix de stopper les frais. Si elle continue de se prostituer encore, et de rencontrer des profils de clients tous très différents, ce n’est que parce qu’elle est mise sous pression financièrement, notamment par sa banque.
Alexandra ment beaucoup, et également à son tuteur à la fac. Si elle ruse ainsi, c’est bien parce qu’elle ne renonce pas totalement à ses études, qu’elle souhaite garder cette porte ouverte. Ses aller-retour de plus en fréquents vers la petite ville où vit son père célibataire, montrent aussi qu’elle revient progressivement à une vie plus normale. Elle rentre dans le rang et cherche moins à échapper à tout prix à cette vie là, simple et ordinaire. Alexandra sera adossée à un mur à l’extérieur d’une salle de concert. Elle chantonne quelques mots de Bobby Brown, la chanson de Frank Zappa que son père joue sur scène avec quelques amis réunis pour redonner vie à un vieux rêve. La chanson en dit très long, sur elle au moins, mais sans doute pas seulement : « Oh God I am the american dream /I do not think, I’m too extreme / And I’m a handsome son of a bitch / I’m gonna get a good job and be real rich ».
Benoît Thevenin
DVD Disponible chez Epicentre Films (sortie le 6 mars 2012)
– Bonus principal : une interview du réalisateur Damjan Kozole, croisée avec des images de l’avant-première parisienne du film (15 min)
Slovenian girl
Sortie dans les salles françaises le 2 février 2011