Avec « Les Adieux à Reine », Benoît Jacquot offre sans doute un de ses meilleurs films. Le cinéaste est passionné est très généreux dans ses réponses. L’interview qu’il nous a accordé aura été riche, dense et vraiment passionnante. Nous avons essayé de la retranscrire aussi fidèlement que possible…
Qu’est ce qui vous a séduit dans le roman de Chantal Thomas ?
Dans le roman lui-même, avant que j’aie la moindre idée de comment je le traiterais cinématographiquement, ce qui me séduisait c’était ce huis-clos paradoxal. C’est un huis clos dans la mesure où c’est un lieu fermé et préservé qui se vit comme invulnérable et imperméable à tout dehors. Mais en même temps ce huis clos est composé de lieux tellement divers, entre les combles, les sous-sols, les appartements à moitié en loques ou les salons de grand faste, que d’une certaine façon, ça n’est plus le huis clos au sens où on l’entend théâtralement. Cette idée de huis clos étrange, de huis clos pervers, m’intéressait énormément. Ce qui m’intéressait aussi beaucoup, c’était le temps. C’est à dire que se passe des évènements qui vont bouleverser le monde entier et les temps à venir, sur une durée très restreinte, qui représente là en l’occurrence trois nuits et quatre jours. Et que cet espace-temps soit traversé, vécu et rendu sensible par un personnage principal qui conduit le film du premier au dernier plan, comme dans le livre elle le conduit du premier au dernier mot.
J’ai pris des décisions très radicales par rapport au livre. Le livre est en rétrospection, comme un flash-back. C’est une femme qui se souvient de ce qu’elle a vécu à Versailles. Ca marche très bien dans le livre mais je n’ai pas voulu de ce temps là pour le film. Je voulais accentuer et rendre sensible le présent radical de ce qui est en train de se passer. C’est à dire comment on vit des évènements bouleversants pour soi et pour le monde dans l’intensité du moment, sans se projeter dans l’avenir parce que la panique est telle qu’on ne pense qu’à l’instant même. L’autre décision radicale que j’ai pris, c’est de rajeunir le personnage de Sidonie (Léa Seydoux) qui dans le livre a une cinquantaine d’années.
Il y a d’autres formes de cloisonnements, par rapport à l’Histoire en marche, des cloisonnements mentaux aussi.
Absolument, mais là ça devient plus compliqué quant aux paysages mentaux des personnages. En fait, le film essaie de suivre cet espèce de pointillé assez indécidable qu’il peut y avoir entre ce que l’on voit physiquement, ce que l’on voit faire, et ce qu’elle est en train de fantasmer, d’éprouver psychologiquement. Ce que j’essaie, et c’est souvent le cas dans mes films, c’est de tresser les deux registres, celui du physique et celui du mental.
Il y a une thématique qui est assez récurrente dans vos films, c’est celle de l’obsession.
J’appellerais plutôt ça des idées fixes. C’est vrai que souvent les personnages dans mes films sont souvent animés, conduits, comme tirés, élancés, poussés ou repoussés par des idées fixes. C’est ici plus affirmé car plus concentré dans le temps. Ce sont des fantasmes, des désirs, des sentiments, des voeux, qui peuvent à peine se dire. Dans ce film, on ne comprend tout ça qu’à travers les yeux de Sidonie.
Le film révèle une personnalité atypique de Marie-Antoinette. Est-ce que c’est cela aussi qui vous a attiré ?
Les attirances saphiques ne sont pas connues parce que Marie-Antoinette est un personnage historique, qui est devenue une héroïne tragique, une Reine martyre, et du coup elle est très préservée, même scolairement. On n’apprend pas dans les manuels que Marie-Antoinette avait une ou deux favorites qui étaient très très proches d’elle. Du reste, on ne sait pas jusqu’à quel point. Simplement, ce que je montre là n’a rien d’improbable. Et puis ça se sait. Je n’ai pas regardé mais c’est certainement évoqué dans les sites internet consacrés à Marie-Antoinette. En tout cas, le roman déjà mais moi encore plus, j’ai été dans ce sens là. Ce qu’éprouve Sidonie pour Marie-Antoinette, c’est de l’amour inconditionnel.
Le Palais de Versailles est dans un état d’insalubrité inédit. Vous êtes vous beaucoup documenté, dans le but d’effectuer une reconstitution au plus près ?
Je n’ai pas cherché à être absolument authentique. Il fallait simplement que l’on croie à ce qu’il se passe. Il y a des rats mais il n’y a rien d’original dans cette façon de montrer les choses. Il y avait des rats à Versailles. Saint-Simon a d’ailleurs décrit cette ambiance et cet état de gangrène dans ses Mémoires. Les rats, l’insalubrité etc sont des signes avant coureurs et illustrent la panique qui monte insidieusement au sein du château.
Comment disposiez-vous du Château ?
Il est impossible de tourner lorsque le Château est ouvert au grand public. Nous ne l’avions à notre disposition que lors de ses fermetures. Nous ne pouvions donc tourner que le lundi. C’était revitalisant. Chaque lundi, le château se « reversaillisait ». Les équipes s’emparaient des lieux, des jardins. Tourner à Versailles, ça regonflait tout le monde à bloc.
Est-ce votre le film le plus ambitieux ?
Je ne sais pas. C’est difficile à dire. J’ai disposé d’un budget assez important mais j’avais déjà travaillé avec des budgets équivalent. Ce n’est même pas mon film le plus cher. Après, c’est sans doute mon film le plus mainstream, notamment de part le casting.
Votre oeuvre fait la part belle aux femmes. Quelle place les trois actrices des « Adieux à la reine » occupent elles dans toute la galerie des actrice que vous avez dirigé ? Concernant Virginie Ledoyen, vous l’avez déjà dirigé pour « La fille seule »
Virginie Ledoyen c’était il y a longtemps. Je l’ai dirigé deux fois, pour La Fille seule et pour La Vie de Marianne que j’ai fait pour la télévision. Elle était très jeune a l’époque, elle avait 17 et 18 ans lors des tournages de ces films. Après Marianne, j’ai voulu qu’elle soit dans La Fille seule parce que je trouvais que les deux personnages avaient des liens, et je trouvait intéressant que ce soit la même actrice qui les interprète. Je voulais retravailler avec elle et ça aurait pu être le cas à l’occasion de Pas de scandale. Elle n’a pas pu car elle partait tourner La Plage avec DiCaprio, mais c’est elle qui m’a recommandez Vahina Giocante pour jouer le personnage que je voulais lui confier.
Diane Kruger, elle est une actrice un peu à part. Je ne crois pas qu’elle s’inscrive dans la généalogie de mes actrices. En revanche, Léa Seydoux est complètement dans cette lignée. Dans Les Adieux à la Reine, elle est un héroïne très semblable à beaucoup de personnages de mes films.
La plupart de vos actrices sont blondes. Est-ce un hasard où préférez vous les blondes ?
(Il prend le temps de réfléchir). Je crois que les actrices blondes ont quelque chose de particulier, leur cheveux prennent la lumière. La peau des blondes à un éclat différent également. Il y a une actrice des années 30 que j’aime beaucoup et qui est un bon exemple je pense, c’est Jean Harlow.
Dans la galerie de seconds-rôles dans votre film, on retrouve trois cinéastes : Noémie Lvovski, Xavier Beauvois, Jacques Nolot. Quel rapport aviez vous avec eux sur le tournage ?
Ca c’est très bien passé et jamais ils ne sont sorti de leur rôle et n’ont empiétés sur mon travail. Ils étaient très à l’écoute et ils se sont comportés de la même manière qu’ils aiment que l’on se comporte sur les tournages de leurs propres films. J’ai donné à chacun des rôles d’orchestrateur. Pour Xavier Beauvois c’est évident, il est le Roi, donc une sorte de metteur en scène. C’est Xavier Beauvois lui même qui m’a suggéré qu’il serait bon dans ce rôle là alors je lui ai fait confiance. Je me disais que je ne prenais pas un plus gros risque que celui que lui prenait. Noémie Lvovsky, en Première femme de Chambre, est aussi dans un rôle ou elle organise, supervise. Quant à Jacques Nolot, il est naturellement quelqu’un de très angoissé, qui s’inquiète très vite et notamment sur ses propres tournages. Il occupe très naturellement son rôle de noble très apeuré par le sort qui l’attend. Il est très naturel et finalement il a donné bien davantage que ce qu’un acteur aurait pu faire ressentir s’il avait joué le même personnage.
Vous avez tourné votre film en numérique, qu’est ce que cela a changé pour vous ?
Absolument tout. J’ai été très longtemps réticent au numérique. Ca ne me convenait pas et j’étais très attaché à la pellicule. J’ai été convaincu quand on m’a présenté la Red
Qu’est ce qui a provoqué votre conversion au numérique ?
J’ai réalisé les possibilités que le numérique pouvait offrir quand j’ai vu Antichrist de Lars Von Trier. J’étais fasciné par ces images et je me demandais comment il avait bien pu fabriquer ces images d’autant que je n’imaginais pas du tout un dispositif de tournage très lourd. Je me suis renseigné et c’est là que j’ai pris connaissance de la Red et ai compris qu’il fallait passer au numérique. On a tourné avec une autre caméra, l’Alexa. Ce que l’on obtient comme image est fabuleux. Je n’aurait jamais pu obtenir la même image en tournant le film en pellicule. Ca aurait été beaucoup de travail pour un résultat différent. Cette image dorée, les nuances de lumières, la compositions des plans avec les zones d’ombre. La pellicule ne m’aurait pas permis d’aller aussi loin. Pour moi maintenant c’est très clair, je ne tournerai plus qu’en numérique.
Avec la fin de Kodak, vous n’avez de toute façon plus guère le choix..
Oui, il n’y a plus beaucoup de possibilités de tourner encore en pellicule. C’est le sens de l’Histoire mais je crois qu’on y gagne. Il y a en tout cas de nouvelles possibilités.
Interview réalisée par Benoît Thevenin le 14 mars 2012 à Paris