Présenté – cf. le poster international du film – comme « a crime noir by Pen-ek Ratanaruang », Headshot est, en effet, le film le plus directement lié au genre du film noir qu’ait réalisé jusque là le cinéaste thaïlandais. Last Life in the universe (2004) et Vagues invisibles (2006) montraient déjà un goût du cinéaste pour cet univers mais dans un traitement toujours à la lisière des genres, dans un style vaporeux et difficilement saisissable.
L’évidence des films de Pen-Ek Ratanaruang, c’est leur cachet esthétique. Ces films sont toujours des bijoux de mise en scène, des films « d’atmosphère » et qui envoutent le spectateur.
Le film respecte quelques codes du film noir : crime, corruption, femmes fatales. Le héros est un flic intègre, à l’origine, qui va suivre une trajectoire exceptionnelle. Victime de chantage, il devient tueur à gage. Il sera recruté par un groupe mystérieux et infiltrera le milieu des moines bouddhistes. La part de la religion bouddhiste est importante dans le film tant, finalement, ce qui intéresse le cinéaste est le parcours existentiel de son héros.
Headshot mélange d’impressionnantes scènes de fusillades avec des séquences plus intimes, voire érotisante où le héros change à mesure de de ses échanges avec une jeune femme qui se retrouve par hasard sur sa route. On est là au coeur du cinéma de Pen-ek Ratanaruang, lequel explore sans cesse dans ces films les rapports hommes/femmes et en particulier les rapports de séduction et de passion. Il y a alors comme une impression flottante qui est commune à tous son travail.
L’originalité du film n’est pas que dans le délicat équilibre trouvé par le cinéaste entre drame existentiel et intrigue criminelle. Au cours d’une mission, Tul, le héros du film, est atteint par une balle en pleine tête. Quand il sort du coma, sa vision est inversée. Le basculement intérieur du personnage coïncide ainsi avec ce retournement sensoriel. L’idée est excellente, en particulier quand Tul se retrouve de nouveau au coeur d’une fusillade. Les plans en vision suggestive sont donc inversés, ce qui implique une façon différente et particulière d’appréhender l’espace. Le procédé parait simple mais, parce qu’il modifie la perception du personnage, il bouleverse aussi sa manière de lutter et de se mouvoir.
Parce que plus fidèle que jamais au genre du film noir, Pen-ek Ratanaruang livre son film sans doute le plus accessible au public. L’élégance tout à fait singulière de son style constitue un formidable écrin à son histoire. C’est aussi ça qui fascine : un univers sophistiqué, une atmosphère trouble et apaisante… en somme, tout ce qu’il faut pour s’initier et se familiariser avec le cinéma du cinéaste. Headshot n’est même pas son meilleur film, mais c’est probablement celui qui peut donner envie de découvrir tous les autres.
Benoît Thevenin