Révélation de la Quinzaine des réalisateurs en 2007 à Cannes, « Garage » débarque sur les écrans français. L’occasion est idéale de bien commencer l’année cinéma avec un film simple mais riche, et aussi drôle que touchant. Pour son second long-métrage après « Adam & Paul », Lenny Abrahamson a frappé fort. Le cinéaste à accepter de rencontrer LATERNA MAGICA et répond à nos questions.
LATERNA MAGICA : Quelles sont les origines de cette histoire ?
Lenny Abrahamson : Mon collaborateur et scénariste, Mark O’Halloran est originaire d’un village de campagne en Irlande qui ressemble un petit peu au village dans Garage. Il a écrit l’histoire de personnes dont il s’est souvenu, de personnes qui vivaient dans leur monde, profondément timides etc. Il s’est particulièrement souvenu d’une personne qui ressemble beaucoup au personnage de Josie. C’est de là qu’est venue l’idée. Je crois que Mark et moi somme tous les deux intéressés par les personnages un peu marginaux. Ce genre de personnes, ils sont tout petit face à un monde qui est très grand. Je pense que c’est vrai pour n’importe qui, mais la plupart des gens arrivent à cacher cela. Les personnes les plus faibles, comme Josie, il est facile de déceler leurs faiblesses, leurs craintes…
L’histoire de « Garage » se déroule donc dans un petit village irlandais très isolé. La croissance économique est responsable de cet isolement. Les personnes comme Josie sont elles condamnées à être reléguées à l’écart de la société ?
Je crois que c’est le principal danger. Dans de nombreux endroits dans le pays, l’activité économique est importante, il y a de nombreuses industries, beaucoup d’argent qui circule etc. Beaucoup de personnes abandonnent les villages parce qu’ils sont à la recherche de la moindre opportunité. Mais ce qu’ils laissent derrière eux, c’est une communauté qui peu à peu se meurt et ou il ne reste plus que les plus faibles. La vie en ville serait insupportable pour une personne comme Josie. Je pense qu’il ne pourrait y survivre. Il a besoin d’un petit endroit, de côtoyer des personnes qu’il connaît bien, de trouver un travail simple qu’il est capable de faire etc. En ville, ce serait beaucoup plus difficile pour les gens comme lui.
Josie est quelqu’un de très innocent et il est sans doute très heureux de la vie qu’il mène. Ce qui lui arrive est horrible et terriblement injuste. Votre vision de l’humanité est-elle si pessimiste ?
Il y a différente façon de voir les choses. Bien sûr, Garage est très sombre. Mais le propos et le sens du film c’est d’ouvrir et exposer les gens à la gentillesse. C’est quelque chose de très positif. Le personnage de Josie, tout le monde l’aime et là encore, c’est l’un des aspects très positif du film. Il y a une ambiance douce et belle, on n’est pas chez Ken Loach. J’espère que le public prend du plaisir devant le film. Au-delà de ça, je suis quelqu’un de réaliste et je sais parfaitement que des tas de personnes souffrent terriblement, dans l’anonymat, et sans que personne ne leurs vienne en aide. Il n’y a rien d’extraordinaire à dire cela. Il nous suffit de descendre maintenant dans la rue et de marcher quelques mètres pour voir, je ne sais pas… dix ou même vingt personnes en détresse… Ce n’est donc pas ma vision du monde, c’est juste le monde qui est ainsi.
Pat Shortt est bouleversant dans ce film. En Irlande, il est un acteur très populaire mais nous le connaissons peu en France. Pouvez-vous me parlez de lui et de votre collaboration sur ce film ?
Pat est probablement le comique le plus célèbre en Irlande. Si vous marchez dans la rue avec Pat… Non ! Vous ne pouvez pas marcher dans la rue avec Pat ! (rires). Les gens se précipitent vers lui dès qu’ils le reconnaissent, ils prennent des photos avec leurs téléphones portables, demandent des autographes etc. 4 millions de personnes suivent son émission de télé. Ca peut même aller jusqu’à 7 millions de spectateurs soit plus encore que n’importe quel match de foot. C’est incroyable. Son style comique est basé sur le burlesque, le slapstick. Il n’est pas la première personne a qui l’on pense pour le personnage de Josie. Cela dit, j’avais déjà travaillé avec Pat à l’occasion de quelques publicités tournées pour la télévision. J’avais adoré travailler avec lui. Il est quelqu’un d’adorable, très modeste et aussi très tendre. Je savais qu’il était capable de jouer le rôle de Josie. D’autant plus qu’il y a comme une tradition avec tous ces grands clowns qui sont aussi de grands comédiens pour les rôles plus sérieux. Il y avait néanmoins un risque pour Pat a accepter ce rôle parce qu’en Irlande le public est habitué a le voir autrement, mais Pat ne s’en est pas inquiété. Il a lu le scénario et a tout de suite donner son accord pour jouer Josie. Pat est lui aussi originaire d’un petit village. Il connaît bien ce contexte et, pour son jeu, il s’est inspiré de ce qu’il connaissait. Il a apporté toute une gestuelle, dans la façon très particulière que Josie a de marcher par exemple.
Les dialogues de Josie se réduisent à des expressions monosyllabiques. Vous avez eu à transmettre beaucoup avec très peu de matière…
J’aime ce genre de cinéma. J’aime les histoires simples, avec peu de dialogue, il y a d’abord un travail sur l’atmosphère, sur l’image. Le scénario de Garage est très habilement minimal. Tout y est. Mais si vous lisez le script, il n’est pas évident d’imaginer le film. Je collabore de manière très étroite avec Mark O’Halloran, le scénariste. On comprend tous les deux très exactement ce qui doit se passer dans chaque scène. Par exemple, il y a un mot que Josie emploie tout le temps, en anglais c’est « Now ». En français l’équivalent ce serait « bon ». Et ca peut vouloir dire n’importe quoi. La première fois que nous avons travaillé avec Pat sur le script, c’était très difficile pour lui à cause de ça ; parce que ces phrases étaient composées de « Now », « Right « , « No bother » et que le sens de la scène n’était pas à chaque fois si évident. Nous avons beaucoup travailler ça pour que la simplicité des dialogues ne puisse empêcher la compréhension. Dans ma façon de travailler, j’envisage les choses comme un architecte. Je construit d’abord les scènes, avec des fondations solides etc. et quand la structure est complète, stable, je retire tout ce qu’il peut y avoir d’accessoire, mais sans que cela ne perturbe l’équilibre de l’ensemble. C’est comme cela que je travaille, en tout cas jusqu’à maintenant, ca changera peut-être plus tard.
Les personnages de David et Josie sont tous les deux très similaires. Ils veulent chacun s’intégrer, être accepté des autres. Le drame ne commence t’il pas exactement à partir de ce point précis ?
Oui certainement. David a 16 ans et Josie près de 40 ans. Leur rencontre provoque le début d’un changement. L’arrivée de David permet à Josie de vivre l’expérience de l’adolescence, ce dont il avait sans doute été privé. Lorsqu’il en était justement un, je suis sur qu’il était exclu par les autres garçons et filles de son âge. Là, avec David, il fait enfin partie d’un groupe d’adolescent. Et la tragédie de Josie elle est ici, les gens s’ouvrent à lui pendant un moment et soudain ils le rejettent de nouveau.
Pouvez-vous me parler de la relation entre Carmel et Josie ?
Carmel est la jolie fille qui travaille dans le petit magasin au centre du village. Josie l’aime beaucoup. Il est même très amoureux d’elle. Elle est la seule fille sur qui il peut compter. Il y a quelques autres filles au pub mais Carmel est la seule qu’il aime vraiment. Il y a une part de drame là encore. La société accepte que les gens comme Josie fassent beaucoup de choses, qu’ils rient ou même qu’ils flirtent mais surtout pas qu’ils expriment un quelconque désir sexuel. Carmel représente la limite de ce que Josie peut avoir dans sa vie. Carmel est même juste derrière la limite. Elle est elle aussi une des clés du drame dans la façon ou leur relation prend fin. Ca explique en partie le pourquoi Josie va faire ce qu’il va faire.
Votre premier film « Adam et Paul » était une comédie. « Garage » est plutôt un drame. Quelles difficultés a t’il pu y avoir de passer d’un genre à l’autre ?
Adam et Paul est une comédie mais je crois que c’est aussi un film très dramatique. De la même manière que Garage, s’il est un film dramatique, est également teinté par la comédie. Il n’y a pas une si grande différence entre les deux films. Les deux partagent un certain goût pour l’absurde et pour les personnages en marge. Les deux films, aussi, reposent sur une sorte de comique burlesque, basé sur le physique. Laurel & Hardy, Buster Keaton, Charlie Chaplin sont des références pour moi. Cela dit, je pense que, très certainement, Garage est un film plus mature. C’est un film également plus profond qui représente pour moi mon évolution en tant que cinéaste. Je crois que les gens ont tendances dans l’industrie du cinéma à attendre énormément d’un second film : plus directement comique, des gros noms en tête d’affiche, un potentiel commercial… Marc et moi voulions très simplement rester fidèles à nous même, à développer notre univers. Garage est arrivé. C’est le film que nous voulions faire a ce moment là.
Vous avez dit avoir réalisé un certain nombre de publicités. Est-ce que ce travail vous a permis d’acquérir une autonomie de cinéaste, une liberté financière ?
Non. C’est vrai que j’ai réalisé de nombreuses pub et j’ai pu gagner comme cela beaucoup d’argent. Mais j’ai aussi longtemps travailler sans être payé. J’ai gardé un peu d’argent de côté. Je pourrais continuer a faire encore des pubs pour gagner encore un peu plus mais j’ai décidé de ne me concentrer plus que sur mon travail de cinéaste. Je ne pense pas que je ferai encore des pubs même si, on ne sait jamais, j’aurai peut-être un jour besoin d’y retourner. Mais j’ai aussi travaillé pour la télévision avec la série Prosperity et j’y ai un certain espace pour faire ce que je veux. Je ne suis certainement pas libre financièrement mais vivre de son cinéma, de ses films, c’est quelque chose de très agréable.
Peut-on vous demander quel est le cinéma que vous aimez, quels sont les cinéastes, les films, qui vous inspire ?
Mes cinéastes favoris sont des cinéastes français comme Robert Bresson mais aussi Renoir. J’aime des réalisateurs très différents. Bresson est sans doute mon préféré, le premier que j’ai vraiment aimé même si, bizarrement, je n’ai encore jamais vu Mouchette. Sinon, j’aime aussi des cinéastes comme Aki Kaurismaki. D’ailleurs j’ai été très fier parce que Garage à reçu le Grand Prix au festival de Turin et Aki Kaurismaki était dans le jury. Pour moi, c’était fantastique. John Cassavetes figure aussi parmi mes cinéastes favoris. Je suis aussi très sensible aux premiers films de Werner Herzog, au cinéma de Fassbinder. Dans les cinéastes plus actuels, j’aime vraiment beaucoup ce que fait Bruno Dumont ou les nouveaux films roumains, en particulier La Mort de Dante Lazarescu de Cristi Puiu. J’adore ce film, il est absolument remarquable. Sinon j’écoute beaucoup de musique. Elle a une grosse influence sur moi, bien que j’en utilise très peu dans mes films. Et puis, le simple fait de sortir et marcher dans la rue, de regarder autour de soi, c’est ca aussi qui m’inspire. Mark aussi. Il prend tout en note. C’est sa manière de procéder.
Propos recueillis par Benoît Thevenin à Paris, le 7 décembre 2007