[11 Fleurs] Interview avec le réalisateur Wang Xiaoshuai

Avec « 11 fleurs », Wang Xiaoshuai livre une oeuvre très personnelle dans laquelle il raconte une part de son enfance à un moment charnière de l’Histoire de la Chine. Ce film est le premier réalisé suite à l’accord de coproduction signé entre les gouvernements chinois et français en 2010.

Dans cette interview, le cinéaste nous parle de son travail, de la place de l’homme dans la société chinoise actuelle, de l’état d’une production cinématographique de plus en plus aseptisée etc. La sincérité et la sensibilité de Wang Xiaoshuai ne font aucun doute, et ses propos sont souvent passionnants…

Laterna Magica : Le film est inspiré de votre jeunesse. Dans quelle mesure vous êtes vous inspiré de vos souvenirs personnels ?

Wang Xiaoshuai : D’abord, je voudrais dire que dans le cinéma chinois, on a beaucoup trop peu d’exemples de cinéastes qui se retrouvent face à eux même. D’autant plus maintenant dans cette époque consumériste et commerciale. Il n’y a pas de place pour l’individu. Moi, à l’inverse, je crois qu’il n’y a rien de plus important que la place d’un individu au sein d’un environnement plus vaste. Il se trouve que le titre du film en chinois c’est « J’ai onze ans », et quand les chinois voient que j’ai fait un film qui s’appelle comme ça, ils sont étonnés et me demandent ce qu’il m’arrive, si j’ai vieilli… Je leur répond que dans la vie, je ne me sens pas du tout vieux, que je suis même un très bon vivant. Par contre, dans mon travail de réalisateur, je pense qu’en partant de plus en plus de moi-même, je m’approche au plus près de la réalité. Je suis convaincu qu’en faisant part d’un tout petit peu de ma vie à cette époque là, et si on est nombreux à faire ça, alors en fin de compte on parle de tout ce qui est en commun à une génération entière. Pour la promotion du film en Chine, on incite d’ailleurs les gens à parler de leur 11 ans, parce que je considère qu’en Chine, on accorde pas suffisamment d’importance au passé.

Vous dites que l’époque consumériste écrase les individualités. A l’inverse, votre film évoque une période charnière où l’individu trouve une voix pour s’exprimer et s’affirmer au delà de la communauté. Considérez-vous que l’on assiste en Chine à une sorte de retour en arrière ?

C’est en tout cas quelque chose de commun entre autrefois et maintenant, et de particulier à la Chine. On est toujours dans le collectif et la réflexion individuelle et personnelle a très peu de place, que ça ait été pour des raisons politiques quand tout le monde se ralliait à la pensée de Mao, ou que ce soit maintenant dans le tourbillon commercial.

Par rapport à la Révolution Culturelle, tout le monde s’accorde en Chine pour qualifier cette période de négative, de noire et dont on a pas envie de parler. On demande à tout le monde de ne pas se pencher sur ce passé là. Au contraire, on pousse les gens à aller de l’avant. Cela dit, je pense qu’on est pas obligé d’aborder cette période là d’un point de vue politique. J’ai été enfant à ce moment là et je peux très bien, sur le plan sensoriel, parler de ce que je ressentais alors.

Le thème de la famille est au centre de beaucoup de vos films. Est-ce là pour vous le meilleur prisme pour regarder la société chinoise ?

 

De ma génération, les familles sont souvent constituées des parents et de deux enfants. La famille a une importance certaine concernant le devenir de l’individu et sur la transformation de la société. Par exemple, avec ma famille, on a été à Shanghaï, on a été amené à vivre à l’intérieur des terres en Guizhou etc. Tout ce qui se passe sur le plan familial peut finalement illustrer les transformations du pays.

Et puis il y a en Chine quelque chose de très fort qui est ce qu’on subit, ce qu’on apprend, l’éducation que l’on reçoit à l’extérieur de la famille et qui est de mon point de vue très superficiel et ne rend pas compte de la réalité. A l’inverse, au sein de la famille, sur le plan des sentiments, sur le plan de l’éducation, ce que l’on reçoit est bien plus précieux. Ca on le voit  très bien dans le film à travers la relation du garçon avec son père. Sans cette relation, il est facile de comprendre qu’il aurait été entrainé comme les autres dans le même mouvement.

 

Est ce que votre expérience de peintre à une influence sur votre façon de faire des films ?

 

A mon époque, personne ne faisait le choix d’étude des beaux-arts. Si j’ai eu l’occasion d’apprendre la peinture, c’était finalement un plus par rapport aux autres, quelque chose qui me permettait de me démarquer. Je le prend comme une grande chance que m’a offert le destin. Je suis encore convaincu que c’est la peinture qui m’a permis de toujours être différent dans une société qui demande à tous les niveaux d’être égal, le même que le voisin, de penser pareil. Pour moi, la peinture m’a fait comprendre que j’avais droit à un jardin secret.

Votre film est le fruit d’une coproduction entre la Chine la France. Est-ce que vous avez le même rapport dans votre travail avec vos producteurs français qu’avec vos producteurs chinois, ou est-ce que ça implique une autre manière de travailler ?

 

Je me rend compte des différences de production entre la Chine et la France. C’est très rare en France que le financement vienne de personnes privées, comme c’est le cas en Chine.

En France, il y a tout un processus long de recherche de financement. En Chine, ça se passe parfois le soir autour d’une table entre copains et le financement sera décidé comme cela. Isabelle Glachant et les autres producteurs français du film ont du mal à fonctionner comme ça (rires). Du coup on se réparti le travail. Moi je m’occupe de la production en Chine et Isabelle s’occupe de la production en France.

Est-ce que, à l’exemple de Lou Ye par exemple (1), vous pourriez venir réaliser un film en France avec des acteurs français si l’occasion se présentait ?

 

Depuis très longtemps, j’ai un projet, une histoire d’amour qui serait à cheval sur la Chine et la France, mais c’est un film qui demande beaucoup d’investissement et qui aurait aussi beaucoup de mal à passer la censure en Chine. C’est pour ces raisons que pour l’instant je ne me suis pas lancé dans ce projet. Pour ce qui est d’un film qui serait complètement réalisé en France, je n’en ai jamais eu l’occasion et je n’y ai jamais pensé non plus. En tout cas, je ne me lancerais pas dans une histoire qui se déroulerait en France uniquement dans le but d’obtenir un financement et de bénéficier d’une coproduction. Le plus important et d’avoir une histoire à raconter qui me passionne.

Il y a une dizaine d’année, vous avez connu des problèmes avec la censure pour le film « The House ». Qu’en est-il aujourd’hui ?

Effectivement il y a une dizaine d’années, j’ai eu des problèmes avec la censure. Maintenant ça va mieux, les choses sont plus simples. Mais en Chine, on ne sait jamais si c’est une vraie amélioration qui va durer et si on va continuer sur cette voie là. On est susceptible à n’importe quel moment d’avoir des problèmes avec la censure.

Aujourd’hui, le gouvernement chinois accorde toute son attention sur les films commerciaux. Ca entraîne que les réalisateurs et les producteurs se lancent dans des productions commerciales et finalement, par ce biais là, c’est aussi un moyen d’éviter les problèmes de censure. A l’inverse, les réalisateurs qui se lancent dans des productions indépendantes, ou des documentaires un peu sensibles, de toute façon ils ne trouvent pas de circuit de distribution, et alors ils n’inquiètent pas le gouvernement. Moi personnellement, je tiens à continuer sur une voie pour aider. Il faut que mes réalisations, j’y tienne profondément, autrement ça ne m’intéresse pas de faire des films juste pour faire des films. Et aussi, comme j’ai acquis une certaine notoriété en Chine, ça me donne des opportunités de dialoguer avec les autorités pour essayer de faire changer les choses.

Est-ce que vos films sont vus en Chine  ? Comment sont-ils vu par la critique et par le public ?

En 2003 avec Shanghaï Dreams, j’ai eu la possibilité que ce film soit vu en Chine, mais en terme d’entrées ça a été très faible. Quant à la critique, elle ne s’intéresse pas au film en lui même mais s’attache au succès que le film a eu ou non en salles. C’est ça qui détermine la critique en Chine.

 

Les festivals internationaux sont donc importants pour votre reconnaissance ?

 

C’est de moins en moins important. Comme il y a ce phénomène de compétition, de course pour gagner toujours plus d’argent, des réalisateurs de films commerciaux comme Zhang Yimou, se contentent de faire leurs films sans se soucier d’aller dans les festivals étrangers. Ils apportent le son de cloche en Chine comme quoi les festivals internationaux c’est de la merde, et que ce qui est important, ce sont les résultats en salles en Chine. Ca donne l’impression pour la population que les festivals ne sont pas intéressants. C’est très dupe comme attitude car d’une part on dit ça, que ça ne sert à rien d’aller dans les festivals, que ce n’est pas un endroit ou on peut faire du fric… Et à l’inverse, cette année par exemple, il n’y a pas de films chinois en compétition officielle à Cannes (il y a seulement le film de Lou Ye à Un Certain regard) et les médias s’affolent et disent qu’il n’y a plus de cinéma en Chine.

Justement, est-ce que cette sous représentation des films chinois à Cannes cette année signifie quelque chose à vos yeux ?

C’est la conséquence normale de tout ce que j’ai décrit précédemment. Le système favorise des films commerciaux dépersonnalisés, qui sont sur d’autres critères et n’intéressent pas forcément les festivals. C’est peut-être une bonne chose cette absence de Cannes cette année. Ca va peut-être amener les médias chinois à réfléchir sur les films, sur leur importance, qui n’est pas forcément fonction du box-office.

Il y a dix ans avec « La Dérive », vous montriez une jeunesse chinoise attirée par les Etats Unis. L’attraction est-elle toujours la même aujourd’hui ?

C’est maintenant très différent de l’époque de La Dérive. Il y a moins de rêves par rapport à l’occident. La situation économique à beaucoup évolué et à l’inverse on voit pas mal de cas de personnes parties à l’étranger et qui reviennent en Chine. En revanche, que ce soit le gouvernement ou la population, il y a un engouement excessif pour le cinéma hollywoodien. Ainsi, pour les gens, le seul prix qui revêt une vraie importance, c’est l’Oscar.

Une question très banale pour terminer : est-ce que vous travaillez déjà sur un nouveau projet ?

J’ai très envie de porter mon attention sur la réalité actuelle, quels sont les problèmes qui sont apparus dans la société chinoise etc. Par exemple, le film Une Séparation d’Asghar Farhadi est très connu en Chine. Ce qui m’a beaucoup impressionné avec ce film, c’est de voir qu’en Iran il y a encore de la foi en quelque chose, contrairement à la Chine, où la seule foi qui existe aujourd’hui, c’est la foi en l’argent. C’est de ça dont j’ai envie de parler dans mon prochain film.

Interview réalisée à Paris le 24 avril 2012 par Benoît Thevenin

Propos traduits du mandarin par Pascale Wei-Guinot

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