Dans la brume constitue un prolongement assez cohérent après My Joy, premier long-métrage de fiction du cinéaste en 2010 et déjà en compétition à Cannes. Sergei Loznitsa met en scène des destinées cruelles dans des sociétés chaotiques où la nature humaine est réduite à sa primalité.
L’action se déroule en 1942 dans un petit village à la frontière biélorusse sous le joug de l’armée nazie. Trois résistants sont arrêtés après un acte de sabotage. Deux sont pendus sur la place publique pour l’exemple. Le troisième, Sushenya, se voit proposer un marché par l’officier à la tête du village : sa liberté contre sa collaboration. Sushenya refuse mais le nazi le laisse quand même retrouver sa liberté. Dans le village, tout le monde croit alors qu’il a trahi les siens…
My Joy avait déjà démontré le sens de la mise en scène de Loznitsa. Le cinéaste s’inscrit dans la lignée d’un cinéma des états de l’ancien bloc soviétique : des plans-séquences amples, rigoureux, un rythme lent et un caractère mutique constant. Cette radicalité reste très relative. Le film peut être éprouvant pour la patience des spectateurs, certes, mais le film dégage une force et une intensité qui ne laissent pas indifférent.
Loznitsa interroge la nature profonde de l’être humain, poussé dans ses retranchements en situation extrême, mais sans faire preuve de didactisme où bien en manipulant la conscience des spectateurs par des effets spectaculaires. Dans la brume impressionne d’abord par sa cruauté et son caractère inéluctablement tragique, où l’Homme est finalement impuissant, écrasé par un contexte trop grand pour lui et qui condamne les personnes à chacun choisir leur camp.
Dans la brume est un film quelque peu aride, qui épouse le tempo de la guerre et son usure, qui décrit des personnages en lutte et qui sont des héros/anti-héros tout-à-fait ordinaires. Le film est aussi impressionnant pour sa mise en scène, sèche mais précise, avec une reconstitution historique rigoureuse et qui ne souffre semble t’il d’aucune absence de moyen, et un cachet esthétique singulier, une image grise et faite de contrastes que l’on doit de nouveau au passionnant chef opérateur roumain Oleg Mutu (4 mois, 3 semaines et 2 jours, My Joy etc.).
Le film est peu bavard et ne comporte aucune note de musique. Cela participe de son aridité présupposée, mais on note un travail méticuleux sur la bande-son qui confère au film toute son ambiance et un caractère presque sensoriel. A tous les niveaux, Loznitsa fait preuve d’une haute ambition de cinéma, que l’on pouvait trouver bancale avec son précédent film, mais qui fait preuve là d’une pleine maîtrise. Dans la brume est l’un des grands films du festival de Cannes 2012.
Benoît Thevenin
Dans la brume
Sortie française le 30 janvier 2013