Aida Begić a grandi au milieu de la guerre en Yougoslavie. Elle était encore adolescente quand Sarajevo assiégée était l’épicentre du conflit. Son cinéma raconte la vie après les massacres en Bosnie, montre les stigmates de la guerre. Premières neiges, son premier long-métrage, racontait l’histoire de plusieurs femmes qui y avaient perdu leur mari, leurs frères.
Les Enfants de Sarajevo, a été présenté à Cannes dans la section Un Certain regard. Le récit démarre sur un évènement banal. Nedim, un adolescent de 14 ans, s’est battu au collège avec le fils d’un important ministre. Dans la bagarre, il lui a cassé son Iphone. Son rival, qui a évidemment les moyens de remplacer l’objet sans que ça ne lui coûte un bras, exige réparation. Nedim vit seul avec sa soeur Rahima. Celle-ci, vingt cinq ans environ, travaille dans les cuisines d’un restaurant pour un salaire misérable.
La réalisatrice accompagne Rahima au plus près, caméra à l’épaule, dans le quotidien gris et désenchantée d’une société gangrénée et hantée par ses démons. Injustice, corruption et petits trafics n’ont pas raison de son fort caractère. Rahima se bat pour protéger son frère, pour que les services sociaux ne le lui prenne pas et pour qu’il ne bascule pas lui aussi dans la délinquance.
Les Enfants de Sarajevo est à la fois le portrait d’une femme courageuse et le celui d’une société en pleine transition et qui subit le contre-coup de la guerre. L’économie peine à se relever. Les inégalités sociales se sont creusées entre puissants et très riches qui se sont engouffrés dans les failles d’un système déréglés, et les gens plus modestes qui subissent les effets de la violence correlée à la corruption et à la délinquance.
Rahima est dans le mauvais camps, même si sa force de caractère fait qu’elle ne se débrouille pas si mal. Elle ne compte que sur elle même pour s’en sortir avec son frère qui le lui rend si mal. Sans cesse, on lui renvoie à la figure qu’elle est sur la mauvaise pente, que son apprenti magouilleur de frère à raison de ne pas suivre sa voie. Mais c’est à n’en pas douter elle qui a raison de lutter, même si elle va à l’envers des moeurs ambiantes.
Son choix de porter le voile, de dissimuler sa grande beauté, participe de sa marginalisation. Les hommes qu’elle croise s’intéressent bien à elle, mais ils sont tous plus minables les uns que les autres et elle n’a pas besoin d’un boulet auprès d’elle. En restant seule, elle peut donner le sentiment de se sacrifier et de gâcher sa vie. Elle manque d’ouverture aux autres, c’est indéniable, mais elle est dans une démarche de construction. Elle ne se débat pas en vain. Quand son frère prendra les voiles pour vivre sa vie, elle sera encore jeune et aura tout le temps de penser à elle et de se construire un avenir. Le film est simple, dans ses enjeux comme dans sa narration, mais il offre un portrait fort et est une vraie réussite, portée avec conviction par la belle révélation que constitue Marija Pikić dans le rôle de Rahima.
Benoît Thevenin