Derrière son titre court et énigmatique, No, illustre une page politique de l’histoire du Chili. En 1988, un référendum est organisé pour savoir si Pinochet doit rester au pouvoir, lui qui y est en place depuis son coup d’état de 1973 et qui depuis s’est rendu coupable sans ambigüités de disparitions, de tortures et autres violations des droits de l’homme. Le film de Pablo Larrain nous plonge dans la campagne qui va accompagner ce référendum et qui a pour particularité d’offrir à chaque camp (le oui et le non – le si et le no en espagnol) la possibilité de diffuser à la télévision un spot de 15 minutes chaque jour pendant le mois précédant l’élection. Chaque camp devra donc produire une importante masse de de contenu audiovisuel pour proposer chaque jour un clip de campagne différent et répondant parfois au spot diffusé par l’adversaire la veille dans un savoureux jeu de ping-pong.
Le film se concentre sur le camp du No où le directeur de campagne va avoir une idée saugrenue mais néanmoins révolutionnaire pour l’époque : faire appel à un professionnel de la publicité, René Saavedra (Gael Garica Bernal) pour mener à bien cette campagne télévisée. Et c’est en appliquant strico sensu les préceptes commerciaux les plus mercantiles, les plus grossiers que va se faire cette campagne du No, parée du même coup d’attraits colorés et optimistes.
C’est donc à une réflexion sur la publicité et la politique à laquelle nous invite Pablo Larraín à travers ce film, c’est-à-dire comment tout simplement l’image et le son sont capables de vendre un produit. L’idée ici est de soustraire du No son caractère politique, de son contenu idéologique pour le rendre attrayant en tant que tel, en tant que pur produit de consommation. Il pose donc la question fondamentale : qu’est-ce qui prime ? Le résultat ou la démarche ? Si l’on gagne pour les mauvaises raisons parce qu’on a voté pour la campagne/publicité qui nous a séduit d’un pur point de vue marchand, est-ce que ça a moins de valeurs que si l’on gagne en raison de la manifestation d’une conviction sincère et réfléchie ? Toute la qualité du film est de ne jamais juger personne, que ce soit les publicitaires ou les citoyens mais de simplement rendre compte du déroulement des événements par le simple pouvoir de l’image. Et d’ailleurs c’est dans une mise en abyme assez géniale que nous convie Pablo Larraín puisqu’il a décidé de tourner son film dans un format 4/3 et de donner à l’image une qualité vidéo/VHS. Ce qui pourrait apparaitre au départ comme une coquetterie un peu dispensable pour évoquer les années 80 est en fait un vrai geste de mise en scène en ce qu’il nous confronte à des images qui sont structurellement les mêmes que celles que produisaient les publicitaires de l’époque. Il réduit donc à dessein l’enveloppe de son film, l’écrin dans lequel il existe à une publicité ringarde des années 80 poussant même le vice à avoir par instants un montage volontairement grossier pour amplifier l’effet. Bref il nous confronte nous spectateur, au même dilemme auquel a été confronté le peuple chilien lors de ce référendum.
Pablo Larraín s’était fait connaître Tony Manero en 2008 (déjà présenté à la Quinzaine des Réalisateurs d’ailleurs) et avait ensuite réalisé Santiago Post Mortem en 2010. Deux films assez différents mais qui décrivaient chacun des personnages perdus et dépressifs dans le Chili de Pinochet. On retrouve d’ailleurs au générique de No l’excellent acteur principal de ces deux films, Alfredo Castro, dans un rôle plus secondaire. Une fois de plus son film se situe dans le Chili des années 80, meurtri par Pinochet. On sent donc chez lui une véritable fascination pour cette époque. Et si ses précédents films étaient plutôt sombres voire même carrément morbides (Santiago Post Mortem est un film extrêmement dur), No est traversé d’une vigueur, d’un optimisme et d’un désir d’avenir revigorant.
Gael Garcia Bernal est excellent dans le rôle, il apporte cette fraîcheur juvénile au milieu d’un monde politique totalement cadenassé. Il représente à merveille cette transition culturelle qui a eu lieu dans les années 80 (et pas seulement au Chili) où l’hégémonie d’une certaine imagerie commerciale américaine s’est répandue un peu partout grâce à la publicité, aux vidéo-clips et aux séries télévisées. Il porte en lui ce désir d’aller vers cette prospérité, même factice et ce bonheur de spot de pub mais il y a aussi dans son personnage une tristesse et une mélancolie de savoir, peut-être, que tout ça n’est qu’enrobage.
Enfin c’est un film passionnant, divertissant et qui propose une vraie réflexion par l’image sans aucun didactisme. Dans le genre du film politique il parvient à trouver une subtilité rare et précieuse tout en étant assez léger et très entraînant malgré le poids terrible de la dictature de Pinochet. C’est en jonglant très habilement avec tous ces éléments que Pablo Larraín parvient à nous offrir cette totale réussite (qui a obtenu le prix CICAE – Confédération internationale des cinémas d’art et d’essai – lors de la Quinzaine des Réalisateurs).
Grégory Audermatte
No
Sortie française le 6 mars 2013