Le raccourci est souvent fait. Pour beaucoup, qui dit cinéma indien, dit Bollywood, ses films sirupeux et ses chorégraphies chatoyantes. Anurag Kashyap est certes encore méconnu des cinéphiles occidentaux, mais il occupe une place importante dans le cinéma indien. Kashyap creuse depuis près de dix ans un sillon ambitieux et qui ne se conforme pas nécessairement avec l’idée que l’on se fait ici du cinéma indien, oeuvrant dans des genres très divers, thriller, drame social, fresque historique, comédie musicale bollywoodienne etc.
Gangs of Wasseypur est justement traversé par tous ses courants. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs 2012 dans sa version complète de 5h20, le film sera exploité en salle en deux temps. La première partie sortira le 25 juillet et la seconde à l’automne seulement. Saluons l’audace d’Happiness Distribution que de permettre l’exploitation du film sur les écrans français, mais interrogeons nous sur la pertinence de proposer au public les deux parties avec autant de semaines d’écarts entre les deux sorties.
Gangs of Wasseypur commence par un impressionnant plan-séquence qui donne la mesure de l’ambition du film. Le spectateur est immédiatement immergé au milieu d’un affrontement entre gangs rivaux. Ca défourraille sévèrement, et quasiment dans un seul mouvement. Les personnages ne sont pas là pour plaisanter, mais Anurag Kashyap non plus. La scène d’exposition, dans le Wasseypur du milieu des années 2000, nous confronte à la mort d’un personnage dont on devine immédiatement l’importance. Après le générique, le cinéaste nous ramène aux origines de ce conflit, soixante-dix ans auparavant.
Wasseypur est un quartier de Dhanbad, capitale indienne du charbon. Le récit commence avec l’indépendance de l’Inde. Les colons britanniques avaient la main mise sur le charbon etes trains se faisaient parfois attaquer par des gangs. Ce sont eux qui reprennent le flambeau laissé par les compagnies britanniques. Deux gangs s’opposent principalement, celui aux ordres du puissant gouverneur de la région, Ramadir Singh, et celui de Shahid Khan, justement spécialisé dans les attaques de train.
Le récit est mené sans temps mort et la difficulté pour le spectateur occidental est d’abord de digérer la masse d’informations qui nous parviennent. Assimiler les personnages, leur noms et leurs rapports entre eux, n’est pas évident, cela exige un minimum de concentration. Cela dit, Anurag Kashyap maîtrise assez son écriture pour ne pas nous perdre. Le plus rude, ce sont les changements d’époques, avec toujours ce temps de latence pour identifier qui correspond à quel personnage.
La première partie de Gangs of Wasseypur est principalement construite autour du personnage de Sardar Khan. Sa famille a été humiliée par Ramadir Singh et il va, par sa seule détermination, reconquérir une respectabilité à mesure qu’il réimpose sa force partout dans Wasseypur. Sardar est bientôt autant puissant que respecté, mais il est aussi un père de famille et dans son foyer, les rapports de forces ne sont pas les mêmes. Sardar a en fait deux femmes, puisqu’il réussit à séduire une timide jeune fille alors qu’il a délaissé les siens pour prendre la route du crime. Le film mélange ainsi différents registres notamment avec scènes de séductions et d’amour, scènes de famille et rivalités entre femmes etc.
Le crime est une affaire d’hommes, en Inde comme partout. Les femmes sont donc reléguées au second plan mais Anurag Kashyap leur donne une véritable importance. Elles ont des personnalités opposées mais, développent chacune de forts caractères. Le personnage de la première femme de Sardar est particulièrement intéressant, à la fois une femme courageuse, une femme de valeur, une mère intransigeante et une épouse qui sait s’affirmer face à son mari. Il est même plutôt drôle de voir Sardar craindre sa femme.
Si Gangs of Wasseypur n’a rien d’un film bollywoodien, il reste un film sous sa forte influence, ne serait-ce parce que les personnages se construisent dans le cultes des héros de cinéma de bollywood. GOW n’est pas fait que de rivalité et d’affrontements violents, le film est aussi souvent drôle, et notamment quand les héros imitent grossièrement leurs modèles bollywoodiens. Le métrage contient aussi de nombreuses chansons qui rythment toute l’histoire, l’illustre et la font progresser aussi. Cependant la musique n’a rien d’envahissante, au contraire. Aucun morceau n’est chorégraphié, ni mit en scène à la manière bollywoodienne. Les chansons sont véritablement au services de l’histoire. Et puis toute cette bande son est excellente. Gangs of Wasseypur ne contient pas seulement des chansons typiquement indiennes, mais aussi toute une composition originale qui augmente l’intensité des scènes d’action.
Foisonnant, maîtrisé, grandiloquent, exaltant même, Gangs of Wasseypur est un spectacle ambitieux et d’une démesure quand même circonscrite à des marges très raisonnables. Les personnages sont charismatiques, surtout Sardar Khan, les femmes sont belles, l’humour est présent et le spectacle au rendez-vous. Que demander de plus ? Ah si, la suite tout simplement, puisqu’à ce stade on a vu que la première partie. Et elle lance formidablement les hostilités pour les deux heures restantes.
Benoît Thevenin
Gangs of Wasseypur – partie 1
Sortie française le 25 juillet 2012