Rengaine de Rachid Djaïdani (2012)

 

 

C’est toujours très agréable ce sentiment typiquement lié à un festival de cinéma où un film est projeté pour la première fois, et où pour une  fois, on n’en sait rien. On ne sait pas de quoi ça parle, on ne connaît ni le réalisateur, ni les acteurs et on n’a rien lu dessus sur Internet, Twitter ou Facebook. C’est juste une absolue découverte. La plupart du temps ces découvertes sont plaisantes, énervantes ou peuvent laisser indifférent mais il arrive que quelque chose se passe, que le film soudain impose de lui-même l’affirmation de sa différence. Que dès les premières images on sente un feeling, une énergie particulière, une chaleur, un naturel bluffant qui le distingue immédiatement des films que l’on a pu voir juste avant. Rengaine est de ces découvertes-là.

Le film de Rachid Djaïdani  débute par une série de plans très serrés, très secoués, d’un homme (Slimane) qui traine dans un chariot en plastique une batterie de voitures et des câbles. On le voit aider un ami à démarrer son véhicule. Cette scène qui n’a aucun lien avec le reste du film, qui sert à vaguement introduire le personnage de Slimane, est pourtant fondamentale. Elle contient déjà cette vibe si particulière, ce fil rouge d’énergie dans la mise-en-scène et le montage qui donne au film ce côté immédiatement électrisant et entraînant. On pourrait d’ailleurs voir dans ce redémarrage forcé comme le symbole d’un réalisateur qui insuffle dans son propre film une bonne décharge électrique pour le faire vrombir jusqu’au générique final.

La seconde scène, tout aussi virtuose dans son montage et sa mise-en-scène nous montre Slimane dans un ascenseur en compagnie d’une femme. Avec elle il compte et récite une liste de noms. On ne comprend d’abord absolument pas de quoi il est question. Mais c’est au détour du dernier dialogue de la scène que l’on réalise que Slimane est en train de compter ses frères, ses 40 frères. Là encore les cadres très serrés, le montage haché mais totalement maîtrisé créent une impression immédiatement viscérale, très physique, presque charnelle. Et c’est de cette façon qu’est fait le film, dans cette tension permanente de la mise-en-scène, qui semble pourtant totalement improvisée autour de ses acteurs, au milieu de la rue, dans un tournage spontané où les figurants à l’arrière-plan vaquent à leurs occupations en jetant parfois des regards curieux vers la caméra.

Malgré cette aspect coup de poing, à l’arrache, semi-improvisé qui lui va si bien, Rengaine a pourtant une vraie narration et un vrai discours. La sœur de Slimane, musulmane, veut épouser un jeune homme black, d’origine catholique. Slimane ne l’entend pas de cette oreille et va aux quatre coins de Paris en discuter avec ses nombreux frères sur ce qu’il faut faire pour l’en empêcher. Il se joue donc un vrai drame de la communauté et de la religion, une espèce de Roméo et Juliette moderne, urbain et terrifiant (car du côté de la famille du jeune homme, c’est la même histoire, on ne peut concevoir qu’il épouse une musulmane) où des réflexes religieux et culturels de protectionnisme et de misogynie viennent se confronter à la réalité très concrète de l’époque dans lequel se déroule le film.

Car c’est aussi un film sur la ville, sur les différents types de personnes qui l’occupent jour après jour, qui squattent devant les gares, qui vendent du shit dans une petite rue, qui discutent de tout et de rien sur le trottoir etc… Slimane fait le lien entre tous ces personnages en quadrillant la ville, donnant le sentiment d’une certaine cartographie du Paris d’aujourd’hui. Les acteurs sont tous bluffants de naturels, la plupart d’entre eux jouent leurs propres rôles, et les dialogues et les situations résonnent avec une véracité rare, ce qui leur donne d’autant plus de valeur.

Difficile de ne pas penser à Donoma, le film de Djinn Carrénard sorti en novembre 2011 et qui partage de nombreux points communs avec Rengaine, que ce soit cet aspect sur le vif permanent, cette mise en scène très énergique qui pallie totalement le manque de moyen et également certaines thématiques pas si éloignées. Les deux films appartiennent à la même famille, ils semblent les descendants d’un nouveau cinéma physique et électrisant qui se fait dehors, là, maintenant, dans le réel et qui n’a ni besoin de subventions, ni besoin de producteurs bienveillants pour mettre au grand jour un talent fou et épatant.

Rachid Djaïdani est un artiste versatile, acteur chez Jean-François Richet (Ma 6-T va crack-er) ou au théâtre chez Peter Brook, auteur de plusieurs romans (Viscéral, ed. Seuil, dont le thème est très proche de celui de Rengaine) et donc aujourd’hui réalisateur avec ce premier film brillant et enthousiasmant, par son énergie folle et la fraîcheur de ses interprètes. On pourra lui reprocher quelques petits égarements, ainsi qu’une fin étrangement un peu ratée et facile, mais c’est bien peu de choses face à la qualité de cette petite surprise venue de nulle part et qui on l’espère ira très loin.

Grégory Audermatte

Rengaine ****

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