Couleur de peau : miel de Jung et Laurent Boileau (2012)

Jung est aujourd’hui dessinateur de bande-dessiné. A 42 ans, l’auteur de La Jeune fille et le vent et Kwaidan publie en 2007 Couleur de peau : miel, le premier volume de ce qui est son autobiographie.

Passionné de BD – auteur de plusieurs documentaires pour France Télévision comme Les Artisans de l’imaginaires (2004), Spirou, une renaissance (2004) Franquin, Gaston et compagnie (2005) – et touché par le roman graphique de Jung, le réalisateur Laurent Boileau lui a proposé de porter à l’écran son histoire.

Le film est le récit à la première personne par Jung lui-même de son histoire. Né Jun Jung Sik à Séoul en 1965, il a grandi en Belgique où il a été adopté. Le point de départ de son parcours est le même que celui de milliers d’enfants coréens qui ont été abandonnés dès leur naissance ou très tôt, à partir de la fin des années 60 et jusque dans les années 70. Le phénomène social s’explique par la misère accablante que subissait certains foyers, ou bien par l’isolement et la précarité de nombreuses mères. Autre raison, la stigmatisation que devait supporter les enfants « bâtards » issus de couples illégitimes, principalement ceux nés de pères GI lorsque, en pleine guerre de Corée, l’armée US était présente sur le sol coréen (cf. un film comme Adresse inconnue de Kim Ki-duk, 2001).

Parmi tous les enfants abandonnés, de nombreux ont été adoptés aux Etats-Unis ou en Europe. Sur les formulaires administratifs, cette mention, couleur de peau : miel. Jung débarque lui dans une famille belge déjà nombreuse. Sa couleur de peau n’est pas la même que celle de ses nouveaux parents et de ses quatre frères et soeurs.

Le film mélange prise de vues réelles – à la fois des images de Jung aujourd’hui et d’autres d’archives, au format super 8, filmées par son père adoptif – et animation 2D et par ordinateur 3D avec un dessin fidèle au roman graphique original. Mais le film n’est pas le décalque de la bande-dessiné. Il y a d’abord un jeu habile que se joue dans le mélange avec les prises de vues réelles, mais aussi une vraie richesse dans la mise en scène. En plus de l’histoire riche et sensible qu’il raconte, le film est aussi un très bel objet de cinéma

D’une manière qui est donc très différente de celle d’Ounie Lecomte qui racontait elle aussi son propre parcours d’enfant coréenne abandonnée dans Une vie toute neuve (2008), Jung raconte l’épreuve du déracinement et la difficulté de grandir tout en se sentant toujours différent.

Jung réussit à se remettre dans la peau de l’enfant qu’il était pour restituer toutes les émotions qui le traversait alors. Avec beaucoup de sagesse, de sensibilité et de pudeur, il livre son histoire, modestement, mais qui contient de nombreux moments de vraie poésie.

Couleur de peau : miel est un film plein de tendresse et qui va droit au coeur. Jung raconte les difficultés de l’adoption à travers son point de vue de d’enfant, mais aussi avec la distance de son point de vue d’adulte, pour réaliser quand même qu’il a finalement eu la chance d’avoir une vie préservée et heureuse, qu’il a grandi entouré de personnes qui l’aimaient.

Jung fait partie de cette famille au même titre que chacun des autres membres, mais pour l’enfant l’évidence ne s’impose pas.

Le film navigue entre naïveté et le recul que Jung a aujourd’hui. Le récit fonctionne par petites touches, par petits épisodes de la vie quotidienne. Les moments léger succèdent aux instants plus grave, ceux ou la quête identitaire devient lourde.

Couleur de peau : miel trouve un équilibre délicat entre documentaire et fiction. Le film est beau, touchant, et même poignant. Malgré toute sa pudeur, Jung réussit à nous émouvoir vraiment, sans rien forcer, mais parce que son histoire et forte et sa sincérité ne fait aucun doute.

Benoît Thevenin

Couleur de peau : miel ****

Sortie française le 6 juin 2012

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