Dans la séquence d’ouverture, une gazelle court dans le désert, puis des touaregs armés surgissent pour vider les chargeurs de leurs armes contre des statuettes d’arts sur lesquels ils ont mit la main. En un instant fugace et à double tranchant, Abderrahmane Sissako présente toute la complexité de la situation dans une région du monde soumise au joug de fondamentalistes religieux. Le désir d’une vraie liberté se heurte aux barrières d’une théocratie impitoyable.
L’intervention militaire française au Mali a permis de braquer quelques temps les projecteurs sur ce qu’il se passe dans cette partie de l’Afrique. Mais à la vision parcellaire et caricaturale des mass médias européens, Abderrahmane Sissako oppose une nouvelle fenêtre pour la compréhension de ce qui se joue là bas, avec qui et comment. L’armée française est absente du film, ce n’est pas le sujet. Ce qui intéresse le cinéaste, c’est de montrer les hommes et les femmes, de montrer la vie se dérouler simplement, de montrer leurs caractères, qu’ils appartiennent tous à la communauté humaine, que tout est plus nuancé que ce que l’on peut imaginer quand on est loin, quand on est un occidental trop peu soucieux de la réalité de l’état du monde. C’est à ça aussi que le cinéma sert, et le film de Abderrahmane Sissako est au moins important pour cette raison.
Le film est cependant bien plus précieux que seulement cela. Le cinéaste décrit une réalité fasciste, des brigades armées qui déambulent de jour comme de nuit dans les rues de la ville et font peser une menace irrépressible. Ils traquent tout ce qui s’apparente à leur yeux à un blasphème, le foot comme la musique, les infidélités, le rapport au corps etc. Deux réalités s’opposent frontalement, celle d’une famille de fermier nomade, un peu épargnée par le diktat établit dans la ville ; et celle des djihadistes qui imposent donc ce diktat. Se heurtent ainsi, deux façons de vivre la foi, l’une purement spirituelle, métaphorique, dans le respect des êtres et des valeurs simples. L’autre de façon entièrement dogmatique, dans le mépris de la condition des hommes, dans le respect de la volonté qu’ils prêtent à Dieu.
Par effet de contraste, Abderrahmane Sissako pointe les aberrations, mais aussi les contradictions et les hypocrisies du discours des djijhadistes. Certaines situations prêteraient à sourire si elles ne masquaient pas la réalité tragique. Le rythme de la mise en scène relativement lent et contemplatif, donne aussi cette impression d’une certaine tranquillité, d’un équilibre dans le vivre ensemble, sans pour autant que l’on soit dupe de la menace lourde, omniprésente et arbitraire qui pèse sur chaque personne.
Si les djihadistes, par la pression qu’ils exercent, étouffent l’appétit de liberté des habitants, ils ne peuvent cependant pas annihiler complètement toutes les consciences. Une certaine résistance s’organise. Il y a ceux qui mettent aux défis les extrémistes en bravant les interdictions, par exemple le ballet extraordinaire d’une partie de football sans ballon. Cette scène sublime, prouve à la fois la force de l’imaginaire, le besoin du refuge onirique, et tout le ridicule de l’interdiction à la pratique de ce sport. S’exprime ainsi le besoin absolu de chacun à croire en quelque chose. A l’évidence, et le constat ici est cinglant, toutes les croyances ne sont pas égales, certaines sont puissamment menaçantes et dangereuses. Abderrahmane Sissako développe cette idée tout au long de son film et avec une très grande subtilité. Le film est essentiel pour ça, pour la façon dont il représente, sans aucune complaisance, la violence et l’horreur, et pour la façon dont il montre, dans ce désert lointain (pour nous occidentaux) des caractères humains se confronter, et non des entités qui pouvaient jusqu’ici nous paraitre insaisissables.