Foxcatcher de Bennett Miller (2014)

A l’origine de Foxcatcher, il y a un fait divers qui fit couler beaucoup d’encre outre-atlantique dans les années 1980. A la manière de Truman Capote, dont il a reconstitué le travail d’immersion pour l’écriture de De sang froid dans son premier long-métrage en 2004, Bennett Miller plonge au plus profond, au plus subtile des relations entre les personnages, de leur psychologie. Il livre un film passionnant dont tout l’intérêt est contenu dans les non dits et les indicibles, c’est à dire la matière même du métrage.

Foxcatcher met en scène les rapports d’argents et de pouvoir qui s’établissent entre l’héritier d’une dynastie de riches industriels, John Du Pont (Steve Carell) et Mark Shultz (Channing Tatum), lutteur issu d’un milieu défavorisé mais champion olympique dans son sport en 1984 à Los Angeles.

Un rapport de domination existe déjà entre Mark Shultz et son frère ainé (Mark Ruffalo), lui aussi champion olympique en 84. Mark s’entraine avec David dans des conditions précaires. Leur entente est réelle, mais leur complicité est déjà plus difficile à cerner. Mark subit sans broncher l’influence de son frère. Quand John Du Pont invite Mark à le prendre sous son aile, à le rejoindre pour disposer de tout le confort des installations derniers cris pour s’entrainer, Mark n’a aucune raison de décliner la proposition. Il se donne ainsi les meilleurs chances de pouvoir progresser et remporter de nouveau le titre olympique. Ce n’est pas explicité dans le film, mais les JO de 1984 ayant été marqués par un boycott des pays du bloc soviétique, Mark est une sorte de champion au rabais qui a encore tout à prouver de sa valeur sportive.

Durant l’essentiel des 2h du métrage, il ne se passe rien de spectaculaire en surface. En revanche, Bennett Miller instruit un jeu psychologique puissant et retord, ou le rapport de force se mesure essentiellement par le prisme de l’argent. Les deux personnages cohabitent dans le cadre d’un immense domaine, isolé, vide de vie, recouvert du blanc de la neige hivernale. L’ambiance est morne, ce que la musique qui accompagne le film conforte en plus. Les deux personnages, solitaires habités par le doute et un mal être certain, se livrent un rapport distancié et ambigu, entièrement figée dans une retenue telle qu’elle met mal à l’aise. L’évolution de l’échange entre les deux se déploient sur la durée, doucement et par petites touches. La séquence à l’intérieur d’un hélicoptère, intense en comparaison avec tout le reste du film, est le point de basculement de toute l’intrigue.

Dans cette histoire dont les femmes sont quasiment entièrement exclues la seule a exercer une influence certaine est la mère de John Le Pont (interprétée par Vanessa Redgrave), terrifiante d’autorité et de présence dans l’ombre. On comprend sans mal qu’elle est le genre de mère castratrice qui inflige à sa progéniture une telle pression qu’il est est psychologiquement dérangé. Cette personnalité médiocre, trouble et malade, est formidablement incarnée par un Steve Carrell totalement méconnaissable, à l’inverse de ses rôles comiques habituels, et même enlaidit par un maquillage un peu lourd qui le rend d’autant plus énigmatique et pathétique.

La longueur du film se ressent un peu, mais Foxcatcher est un petit bijoux d’intelligence, une oeuvre d’une incroyable finesse qui ne s’apprécie véritablement et complètement qu’au moment de son dénouement, a priori inattendu et qui frappe d’autant plus les esprits. Le spectateur est alors récompensé. L’exercice auquel s’est ainsi livré Bennett Miller est absolument remarquable.

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