Depuis le milieu des années 1980, Taïwan livre régulièrement aux cinéphiles du monde quelques trésors du cinéma contemporain, de part ses maîtres Hou Hsiao-hsien, le très regretté Edward Yang, mais aussi Tsai Ming-liang (encore auteur des sublimes Chiens errants, un de nos films préférés de ceux sortis en 2014), sans oublier Ang Lee. Pour autant, dès l’amorce des années 2000, le cinéma taïwanais a commencé de perdre un peu de son prestige. Edward Yang n’est plus là, Ang Lee a répondu aux sirènes hollywoodiennes avec le succès que l’on sait, Tsai Ming-liang reste un cinéaste radical, pointu, et par là même confidentiel. Quant à Hou Hsiao-hsien, s’il est parti tourner au Japon et en France, il n’a pas délaissé son île natale mais sa présence s’est raréfiée (The Assassin, ambitieuse fresque dans le cadre historique chinois de la dynastie Tang, devrait enfin nous parvenir cette année). A l’ombre de ces prestigieux maîtres, pas forcément très populaires à la maison non plus, le jeune cinéma taïwanais a eu quelques difficultés a exister vraiment, ou plutôt doit on dire à faire recette. L’important succès de Cape N°07 de Wei Te-sheng en 2008 a cependant redistribué les cartes. L’industrie cinéma taiwanaise s’est alors recentrée sur une offre plus populaire, plus formatée, un cinéma jeune et volontiers naïf. Les comédiens, et plus particulièrement les femmes, on été les premièr(e)s à subir cette nouvelle orientation. Passé vingt-cing/trente ans, les rôles féminins sont devenus rares et stéréotypés. Du reste, l’exemple de Shu Qi est relativement représentatif : omniprésente au début des années 2000, l’actrice se fait beaucoup moins remarquée maintenant qu’elle approche la quarantaine (mais elle sera en tête d’affiche de The Assassin).
Cette longue recontextualisation nous paraît nécessaire au moment d’aborder le premier long-métrage de cinéma de Chienn Hsiang. Avec Exit, il propose un film à contre-courant de ce qui se fait aujourd’hui à Taïwan. L’histoire est celle d’une mère célibataire quelque peu accablée par les évènements mais qui va peu à peu se reconstruire. Ling (Chen Shiang-chyi) vit seule avec sa fille adolescente, laquelle déserte le foyer pour convoler avec son amoureux. Bientôt licenciée de son travail de couturière, Ling doit aussi faire face à l’hospitalisation de sa vieille mère, vraisemblablement en fin de vie, et qu’elle visite quotidiennement. Le tableau de son existence est pour le moins tristoune mais Ling reste digne et ne se laisse pas abattre. A l’hôpital, elle se prend d’intérêt pour le grand brûlé aux yeux bandés qui hurle la mort dans la même chambre que sa maman. Bientôt, elle semble venir plus pour lui que pour sa propre mère…
Chen Shiang-chyi, actrice fétiche de Tsai Ming-liang, celle là même qui nous a encore tant bouleversé dans la sublime séquence finale des Chiens errants il y a tout juste un an, a trouvé chez Chienn Hsiang un rôle finalement dans la lignée de ceux que lui propose Liang depuis toujours. Le personnage de Ling est là aussi mutique, et toute la performance de l’actrice tient alors à son allure et à l’expressivité de son visage. Pour autant, le film de Chienn Hsiang est plus accessible que ceux de Tsai Ming-liang, ne serait-ce que parce qu’il est un film classiquement narratif.
Le silence de Ling rend évident la souffrance qui habite le personnage, les problèmes de communication qui sont les siens, sa peur face à tout ce qu’elle doit subir et/ou affronter. Ce silence induit une autre évidence, esthétique cette fois, puisqu’il permet au cinéaste de se concentrer sur la composition de ses plans. Ce n’est là pas un hasard, puisque Chienn Hsiang, avant de devenir réalisateur, est un directeur de la photo reconnu (c’est notamment lui qui a signé la photo du très beau Blue Gate Crossing, film culte du jeune cinéma taïwanais du début des années 2000). Très soigné visuellement, Exit ne se réduit cependant pas à un bel objet de cinéma. Le film est d’abord un très beau portrait de femme, une oeuvre poétique sensible et pleine d’humanité, qui bénéficie pleinement du charme et du charisme de la si précieuse Chen Shiang-chyi.
B.T
Merci de cette critique. Ce film a l’air passionnant. Un beau portrait de femme loin de ce qui se fait habituellement. ça donne envie de le découvrir. Même si je ne sais pas s’il est beaucoup distribué.
Ton blog est super.