La relation mère-fille, sans cesse explorée par Pedro Almodóvar tout au long de sa carrière – de Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? à Volver , en passant par Talons Aiguilles, Kika ou Tout sur ma mère notamment – opère un intéressant basculement avec Julieta, son 21e long-métrage.
Nombreuses sont les héroïnes de son cinéma à souffrir de l’abandon par leur mère et à partir dans une quête tortueuse et douloureuse pour tisser quand même un lien d’amour. Dans Julieta, c’est tout l’inverse.
Alors qu’elle s’apprête à changer de vie en quittant Madrid pour le Portugal avec son amant Lorenzo, Julieta rencontre par hasard Beatriz, l’amie d’enfance de sa fille Antia, dont elle n’a plus de nouvelles depuis près de 12 ans. Julieta apprend que sa fille vit en Suisse et qu’elle à trois enfants. Ces révélations bouleversent Julieta, laquelle renonce à partir au Portugal et entreprend au contraire de se souvenir et de raconter dans une lettre à sa fille toute l’histoire et tous les secrets qu’elle lui a longtemps caché.
C’est dans ce basculement dans le rapport mère-fille, cet abandon de la mère par la fille, que Julieta trouve une singularité dans la filmographie d’Almodóvar. Le cinéaste remonte 30 ans en arrière, construit son récit sur la base d’un long flash-back, et focalise entièrement son intérêt sur ce couple de personnages, ce lien déchiré, si bien qu’il refuse d’inscrire cette histoire dans le contexte de l’évolution de la société espagnole durant toutes ses années. Seuls les personnages intéressent le cinéaste.
En plongeant dans son passé, Julieta rencontre les fantômes de son existence. Le film fait paradoxalement, à rebours, le récit du temps qui passe, des êtres qui disparaissent, de l’origine des secrets enfouis, des blessures et des maladies qui rattrapent les êtres. Cette histoire pleine de mystères, tellement emprunte de culpabilité, voyage dans une conscience torturée jusqu’à s’aventurer sur le terrain du thriller psychologique. C’est là tout le sens du romanesque d’Almodóvar. Son récit traverse différents états et c’est dans le contraste des différentes émotions, dans l’exaltation de certains sentiments, que le mélodrame se forge.
Le film n’est pas exactement la plus belle réussite d’Almodovar, mais après la parenthèse légère et très décevante des Amants Passagers, il replace son réalisateur sur l’échiquier de ceux qui nous intéressent, et même un peu plus que ça. Julieta trouve en tout cas toute sa place dans sa filmographie. A travers le portrait de Julieta, il offre un nouveau visage à la figure maternelle dans ses films, sinon un autre de point de vue. Julieta n’est pas une mère exemplaire, mais c’est elle que l’on voit souffrir de la rupture du lien à sa fille. C’est cependant elle aussi qui est en quête de pardon.
Mis en scène avec beaucoup de soin, un sens aigu du cadre et de la composition des plans, Julieta n’est pas qu’un beau portrait de femme, il est aussi une fantastique réussite formelle, un film qui livre quelques séquences parmi les plus belles du cinéma d’Almodovar, qu’il s’agisse d’un voyage fantasmagorique en train ou bien la superbe transition d’une époque à l’autre, par un simple jeu de serviette. La maîtrise du cinéaste est manifeste.
Almodóvar livre un film tout en retenue et tout en contrôle, où la mélancolie se diffuse lentement et subtilement, sans qu’il n’y ait besoin d’en rajouter. Peut-être la mécanique narrative est elle trop évidente, trop prévisible, mais l’émotion est là, pure et délicate. C’est du très beau cinéma.
Benoît Thevenin