« A coup took place in Brazil ». « We will resist ». 5 jours après l’annonce de la suspension de Dilma Rousseff de ses fonctions de présidente du Brésil, l’équipe d’Aquarius a profité de la montée des marches cannoises pour adresser au monde entier un message de soutien à l’élue déchue. Après de longs mois de bataille politique, juridique et médiatique, Dilma Rousseff a donc été contrainte de renoncer, provisoirement au moins, au pouvoir, laissant le peuple brésilien profondément divisé entre ceux qui la soutiennent et ceux qui se félicitent de son éviction. L’équipe d’Aquarius a choisi son camp, et ce n’est finalement pas très surprenant tant le portrait de Clara, l’héroïne du film, est celui d’une résistante.
Clara (Sonia Braga), ancienne critique musicale réputée, vit seule dans un immeuble huppé construit dans les années 40, l’Aquarius, situé en front d’océan à Recife. Veuve, elle a la soixantaine épanouie. Un jeune promoteur immobilier, héritier d’une importante société du secteur, a racheté tous les appartements de cet immeuble mais Clara refuse catégoriquement de céder le sien, s’engageant par là même dans un véritable bras de fer avec lui.
A travers le portrait de cette femme libre et épicurienne, le réalisateur des Bruits de Recife (2012), raconte le Brésil contemporain, le pouvoir de l’argent qui non seulement corrompt, mais en plus efface tout. Dans le combat sourd et froid de Clara, il y a des raisons personnelles, un attachement à rester là où elle a vécu avec son mari et ses enfants, et la volonté de ne pas oublier et de préserver les souvenirs. Chez elle, il y a une riche collection de vinyles, des photos, un mobilier qui a vécu. Chez Diego Bonfim, le jeune promoteur tous juste revenu des Etats-Unis où il a fait ses études, il n’y a qu’un projet, celui de faire table rase d’un passé sur lequel il n’a aucune prise et construire son propre empire immobilier et financier.
Au delà de la guerre froide que se livrent Diego et Clara, le film est d’abord le portrait de cette dernière. A travers elle, Kleber Mendonça Filho englobe toute la vie. Aquarius est un film ample, dans sa mise en scène, ses mouvements de caméra, mais aussi dans tout ce qu’il raconte de la vie de Clara et de son caractère. Elle est une belle femme, raffinée, sophistiquée, séductrice. Les jeunes hommes autant que ceux qui ont son âge, se laissent facilement troublés par elle. Clara est une femme forte et intelligente, qui a le goût des belles choses. Qu’elle soit seule ou en société, elle n’oublie jamais de profiter de sa vie. Elle écoute de la musique, danse, savoure son vin, et elle a des amants.
Pourtant, Clara a ses failles. Ce sein dont elle est amputée, il représente sa fragilité autant qu’il révèle sa pudeur et sa force. Clara a vaincu son cancer mais elle n’en a pas effacé le stigmate. Cela la rend vulnérable dans son rapport à ses amants, mais cela signale aussi combien son caractère est fort et orgueilleux. Cela dit, il n’y a pas de complaisance dans le portrait que Kleber Mendonça Filho fait de son héroïne. Au delà de sa farouche indépendance, Clara est une femme égoïste et retord. Elle a sa part d’ombre.
Pendant direct et tout autant politique des Bruits de Recife, Aquarius, second long-métrage seulement de Kleber Mendonça Filho, met en évidence la finesse et l’extraordinaire acuité de son cinéaste. Par rapport à son premier film, économe dans les dialogues, Aquarius est lui riche de paroles et de monologues. Cela permet à Sonia Braga, de tous les plans du film ou presque, d’imposer de nouveau sa stature. Elle incarne avec douceur, prestance et une certaine rigidité aussi, une Clara complexe et fascinante, symbole d’un pays, le Brésil, connu pour son esprit léger et festif, mais confronté à des mutations qui menacent sa cohésion et son art de vivre. L’actualité particulièrement chahutée ces derniers mois au Brésil le prouve, et Aquarius en rend compte de manière formidable, à sa manière élégante, charmante et profondément agréable.
Benoît Thevenin